CHAPITRE IX. SAINT AUGUSTIN, VICTIME DE DÉCEPTIONS CRUELLES.
11. Deux choses surtout, qui séduisent facilement l'inexpérience de la jeunesse, me jetèrent dans ce cercle inextricable d'erreurs. Ce fut d'abord la familiarité qui, sous je ne sais quelle forme extérieure de bonté, m'enlaça de ses plis comme le fait une chaîne enroulée autour du cou. Ce fut ensuite la funeste victoire dont je cueillais les lauriers, toutes les fois que je discutais avec des chrétiens ignorants , mais qui malgré leur ignorance défendaient leur foi avec tous les efforts possibles. Ces succès multipliés enflammaient mon ardeur de jeune homme, et de plus en plus je me précipitais dans l'abîme de l'iniquité. Ce genre agressif fut en moi le fruit des leçons de mes maîtres, et j'attribuais volontiers à eux seuls la gloire de toutes les ressources que je puisais dans mon esprit ou dans mes lectures. De cette manière, leurs discours ne faisaient qu'enflammer mon ardeur belliqueuse , et mes victoires redoublaient sans cesse mon affection pour mes maîtres. Aussi j'acceptais toujours comme vrai, sans le savoir, tout ce qu'ils me disaient, leurs paroles n'eussent-elles été que le poison le plus violent; il me suffisait de désirer que ce fût la vérité, pour l'accepter comme vrai. Aussi arriva-t-il que malgré la lenteur et les hésitations du début, je me fis pour longtemps le disciple d'hommes qui mettent une paille brillante bien au-dessus d'une âme vivante.
12. Disons la vérité, il m'était impossible, à cette époque, de discerner les choses sensibles des choses intelligibles, les choses charnelles des choses spirituelles ; une telle opération était entièrement en dehors de mon âge, de mon instruction, de mes habitudes, et surtout je ne m'y étais disposé par aucun mérite. Ce discernement, en effet, est la source d'une joie abondante et d'une grande satisfaction. Est-il donc vrai que je ne pouvais saisir cette distinction, que la nature elle-même, sous la garde souveraine des lois de Dieu, a gravée dans le jugement de tous les hommes ?
