CHAPITRE VIII. ORIGINE DU MAL.
10. On me demandera peut-être: D'où vient le péché? et d'une manière plus générale D'où vient le mal ? Si le mal vient de l'homme, d'où vient l'homme ?S'il vient de l'ange, d'où vient l'ange ? C'est de Dieu, nous dit-on, et en cela on dit la vérité; cependant cela ne suffit pas pour empêcher les ignorants et les esprits faibles de croire que les maux et les péchés sont liés à Dieu comme par une sorte de chaîne. C'est sur cette question que les Manichéens se croient invincibles, comme s'il suffisait d'interroger pour savoir? Oh ! s'il en était ainsi, personne au monde ne serait plus savant que moi ! Mais combien de fois il arrive, dans une discussion, que tel adversaire qui, pour jouer le personnage d'un grand docteur, propose une grande question, est plus ignorant sur la matière que celui-là même à qui il veut en imposer. Il en est ainsi des Manichéens; pour se faire croire bien supérieurs à la multitude, ils proposent, les premiers, des questions qu'ils ignorent comme la multitude. Quand je discutais avec eux (et je n'aurais pas à m'en repentir si je l'avais toujours fait, comme je le fais maintenant), et qu'au moment où je déclinais mes raisons, ils m'opposaient cette objection, je devais leur dire : Voyons, ne vous est-il pas facile de convenir avec moi, que si rien ne peut briller sans Dieu, à plus forte raison rien ne peut vivre sans Dieu? Sortons enfin de ces monstrueuses opinions qui veulent nous faire croire que je ne sais quelles âmes jouissent de la vie sans la tenir de Dieu. A l'aide de ce principe, nous arriverons ensemble à connaître ce que vous ignorez avec moi : l'origine du mal. En effet, l'homme peut-il connaître le souverain mal, s'il ne connaît pas le souverain bien? Nous ne connaîtrions pas les ténèbres, si nous vivions toujours dans les ténèbres; c'est la connaissance de la lumière , qui nous fait connaître son contraire. Or, le souverain bien, c'est ce à quoi rien ne peut être supérieur; Dieu est le bien, et comme rien ne peut être supérieur à Dieu, il suit nécessairement que Dieu est le souverain bien.
Ayons donc de Dieu une véritable connaissance, et nous aurons bientôt découvert ce que nous cherchons. Et cette connaissance de Dieu, la regardez-vous comme une chose de médiocre importance ? La récompense qui nous est promise, n'est-ce pas la vie éternelle ? et la vie éternelle, qu’est-elle autre chose que la connaissance de Dieu ? Voici ce que dit le Seigneur : « La vie éternelle consiste à vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé1 ». Notre âme est immortelle par nature, et cependant, si elle repousse la connaissance de Dieu, on dit d'elle qu'elle est morte : au contraire, qu'elle se convertisse à Dieu, aussitôt elle mérite la vie éternelle, parce que, comme je l'ai dit, la vie éternelle c'est la connaissance de Dieu. Or, personne ne peut se convertir à Dieu qu'en renonçant à ce monde. Mais pour moi, c'est là une oeuvre ardue et très-difficile; si pour vous elle est facile, Dieu seul le sait. Je voudrais bien le croire, mais je me sens arrêté par cette pensée que ce monde, auquel nous devons renoncer est visible, qu'à lui dès lors s'appliquent ces paroles de l'Apôtre : « Les choses que l'on peut voir sont temporelles; mais les choses qui ne se voient pas sont éternelles2 » : et que pourtant vous attachez plus d'importance au jugement de vos yeux qu'à celui de l'intelligence, puisque vous déclarez que toute plume qui brille ne brille que parce qu'elle est de Dieu, tandis que vous proclamez que ce n'est pas de Dieu que toute âme vivante a reçu la vie. Et combien de choses semblables je pourrais avancer ! combien de souvenirs pourraient se présenter à mon esprit ! Je pourrais, versant devant Dieu les prières les plus ferventes , et pieusement attentif aux enseignements de l'Ecriture, ou multiplier des témoignages semblables, ou trouver des moyens de m'assurer la victoire.
