CHAPITRE XIV. L'UTILITÉ DE LA PÉNITENCE PROUVE QUE LES AXES NE SONT PAS MAUVAISES PAR NATURE.
22. Ce que je vais dire de la pénitence nous fournira la même conclusion. En. effet, tout homme sage convient de l'utilité de faire pénitence de son péché ; les Manichéens vont même plus loin, ils en font un précepte. A quoi bon, dès lors, rassembler sur cette matière les nombreux témoignages que l'Ecriture nous offre à chacune de ses pages? C'est là le cri de la nature; l'insensé lui-même n'a pas toujours perdu la connaissance d'une vérité qui n'est gravée si profondément dans notre âme que pour nous arracher à une perte certaine. On peut trouver des hommes qui diront qu'ils sont sans péché; mais dire qu'après avoir péché on n'est pas obligé de faire pénitence, un barbare lui-même n'oserait aller jusque-là. S'il en est ainsi, je demande à laquelle des deux espèces d'âmes la pénitence est possible. Il est certain, d'abord, qu'elle n'est possible ni à celle qui ne peut pas faire le mal ni à celle qui ne peut pas faire le bien. En conséquence, et pour me servir de leurs propres expressions, je dis que si une âme des ténèbres fait pénitence de son péché , elle prouve par là même qu'elle n'est pas de la substance du souverain mal; si c'est une âme de lumière, j'en conclus qu'elle n'est pas de la substance du souverain bien. En effet, celui qui éprouve la volonté sincère de se repentir, affirme par là même qu'il a fait le mal et qu'il pouvait faire le bien. Comment peut-il n'y avoir en moi aucun mal, si j'ai mal agi, et comment ma pénitence peut-elle être légitime, si je n'ai fait aucun mal? Prenons ensuite la contradictoire. Comment n'y a-t-il en moi aucun bien, puisque j'éprouve un bon désir? Ou comment puis-je me repentir, si je suis incapable d'une volonté bonne? Voici le dilemme qu'ils ne peuvent éluder: ou bien ils doivent nier l'utilité de la pénitence et par là renoncer non-seulement à toute idée chrétienne, mais encore au simple bon sens ; ou bien qu'ils ne disent plus que les âmes se divisent en deux classes, l'une essentiellement bonne, l'autre essentiellement mauvaise. Mais renoncer à cette classification, c'est renoncer par le fait même au manichéisme; car cette hérésie repose avant tout sur cette double ou plutôt sur cette pernicieuse distinction des âmes.
23. Il me suffit dès lors de savoir que l'on doit faire pénitence, pour être convaincu que les Manichéens sont dans l'erreur. Si donc, m'adressant à un de mes amis qui jusqu'ici a cru pouvoir rester leur disciple, je l'interpelle au nom de l'amitié et lui demande : Penses-tu qu'il soit utile de faire pénitence quand on a péché ? Il me jure sans hésitation qu'il est convaincu de cette utilité. Et si avec ce seul principe je te prouve la fausseté de l'hérésie manichéenne, que demanderas-tu de plus? Qu'il me réponde ce qu'il pourrait désirer de plus sur ce point. C'est bien jusque-là. Mais si je me mets en mesure de montrer les conséquences logiques qui découlent nécessairement de ce principe , il en arrivera bientôt à nier cette utilité de la pénitence, malgré les protestations unanimes des doctes et des ignorants ; et pendant que nous discuterons il répondra à chaque partie de la question par ce principe qui lui est si cher : Il y a en nous deux âmes. O cruelle habitude du péché ! ô terrible châtiment du péché ! Vous m'arrachiez alors à la considération de vérités aussi évidentes ; et je ne sentais pas vos coups meurtriers : maintenant encore, mes amis ne sentent pas les blessures que vous leur faites; et c'est moi qui gémis et qui souffre cruellement des coups que vous leur portez.
