CHAPITRE X. FACILITÉ D'ACCOMPLIR LES PRÉCEPTES.
21e Raisonnement.
Ensuite l'auteur produit certains passages à l'aide desquels il veut prouver que les préceptes divins sont faciles à accomplir. Or, nous savons tous que les commandements se résument dans la charité, puisque la fin du précepte c'est la charité1, et que la charité est la plénitude de la loi2 ; nous savons également que rien n'est pénible à celui qui agit par amour et non par crainte. Les préceptes divins sont un fardeau pour ceux qui, en les accomplissant, ne sont poussés que par la crainte, tandis que la charité parfaite pousse la crainte dehors3 , et nous fait trouver dans le précepte non plus un fardeau qui nous accable, mais comme un levier qui nous soulève, et des ailes qui nous transportent. Toutefois, pour posséder cette charité, autant du moins qu'il nous est possible de l'avoir dans ce corps de mort, le libre-arbitre de notre volonté ne peut rien, s'il n'est aidé de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur4. Répétons-le souvent, la charité est répandue dans nos coeurs, non point par nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné5.
Or telle est la véritable cause pour laquelle la sainte Ecriture nous dit que les préceptes divins ne sont point un fardeau qui écrase. Toute âme donc qui se sent fléchir sous ce poids, doit comprendre qu'elle n'a pas encore reçu ces forces surnaturelles qui rendent les préceptes du Seigneur légers et suaves; qu'elle prie, qu'elle gémisse, afin qu'elle obtienne le don de la facilité. « Que mon coeur devienne sans tache ; dirigez mes voies selon votre parole, et que je ne subisse pas le joug de l'iniquité6 ; que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel; ne nous laissez pas succomber à la tentation7 ». Redire ces paroles et autres semblables, qu'il serait trop long de rapporter, c'est prier, c'est demander la grâce d'accomplir les préceptes divins; d'ailleurs, ces préceptes n'existeraient pas, si notre volonté ne pouvait rien dans leur accomplissement, et si par elle-même elle pouvait les accomplir, quel besoin y aurait-il de prier? Le législateur nous déclare que son joug est doux, afin que celui qui le trouve écrasant comprenne qu'il n'a pas encore reçu le don, qui seul peut le rendre léger; qu'il sache même que, dût-il accomplir les commandements, il ne les accomplit pas parfaitement, tant qu'il les regarde comme un fardeau trop lourd. En effet, Dieu aime celui qui donne avec joie8, Toutefois, s'il les trouve trop lourds, qu'il se garde bien de s'affaisser dans le désespoir; qu'il se relève, au cou traire, et qu'il cherche, qu'il demande et qu'il frappe.
22e Raisonnement.
Voici donc les passages cités par notre adversaire pour prouver que les préceptes divins sont légers et faciles. « Non-seulement », dit-il , « les commandements de Dieu ne sont pas impossibles, ils ne sont même pas d'un accomplissement lourd et difficile ». Nous lisons au Deutéronome : « Le Seigneur reviendra à vous, pour mettre sa joie à vous combler de biens, comme il l'a fait à l'égard de vos pères. Pourvu néanmoins que vous écoutiez la voix du Seigneur notre Dieu, que vous observiez ses préceptes et les cérémonies qui sont écrites dans la loi, que je vous propose, et que vous retourniez au Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur net de toute votre âme. Ce commandement que je vous prescris aujourd'hui n'est ni au-dessus de vous ni loin de vous. Il n'est a point dans le ciel pour vous donner lieu de a dire: Qui de nous peut monter au ciel, q pour nous apporter ce commandement, afin que, l'ayant entendu, nous l'accomplissions par nos oeuvres? Il n'est point au-delà de la mer, pour vous donner lieu de vous excuser en disant : Qui de nous pourra passer la mer , pour l'apporter jusqu'à nous, afin que, l'ayant entendu, a nous puissions faire ce qu'on nous ordonne? mais ce commandement est tout proche de a vous, il est dans votre bouche, dans votre coeur et dans vos mains, afin que vous a l'accomplissiez9 ». Le Seigneur dit également dans l'Evangile : « Venez à moi, vous a tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le a repos de vos âmes; car mon joug est doux net mon fardeau léger10 ». Saint Jean nous dit dans son Epître : « La charité de Dieu consiste pour vous à accomplir ses préceptes, et ses préceptes ne sont point lourds net difficiles11»
Ces témoignages de la loi, de l'Evangile et des lettres apostoliques doivent nous servir, pour formuler la doctrine de la grâce, que ne veulent pas comprendre ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir la leur propre, refusent de se soumettre à celle de Dieu. D'après le Deutéronome, ils devraient comprendre , comme l'Apôtre l'a rappelé, qu'il faut croire de coeur pour obtenir la justice, et confesser la foi par ses paroles, pour obtenir le salut12; que le médecin est nécessaire non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux geai sont malades13. Mais comme ils ne veulent pas le comprendre, on ne saurait trop leur rappeler ces paroles de l’Apôtre saint Jean : « La charité de Dieu consiste, pour nous, à accomplir ses préceptes, et ses préceptes ne sont point lourds et difficiles». Pouvait-il affirmer plus clairement que le commandement de Dieu n'est point lourd à la charité divine, répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit, et non point par le fibre arbitre de la volonté humaine ? En voulant accorder trop de puissance à ce libre arbitre, ils prouvent qu'ils ignorent le caractère essentiel de la justice de Dieu ; ce caractère, c'est la charité, lorsqu'elle sera parfaite, lorsque toute crainte du châtiment aura disparu.
