CHAPITRE III. SI L'HOMME DOIT ÊTRE SANS PÉCHÉ, IL LE PEUT.
5e Raisonnement.
« Demandons si l'homme doit être sans péché. Il le doit sans aucun doute. S'il le doit, il le peut; s'il ne le peut pas, il ne le doit pas. Et si l'homme ne doit pas être sans péché, il doit être avec le péché, mais un péché qui doit exister n'est plus un péché. S'il est absurde de dire qu'une chose qui doit exister est un péché, il est nécessaire de confesser que l'homme doit être sans péché et qu'il ne doit être obligé qu'à ce qu'il peut ». Je réponds par la comparaison dont je me servais tout à l'heure. En voyant un boiteux qui peut être guéri, nous avons le droit d'ajouter: Cet homme ne doit pas boiter; et s'il le doit, il le peut. Et, cependant, il ne le peut pas aussitôt qu'il le veut. il faut auparavant qu'il ait subi une cure convenable et que le remède vienne au secours de sa volonté. La même chose se passe dans l'homme intérieur au moyen de la grâce qui est venue appeler, non pas les justes, mais les pécheurs; car le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades1.
6e Raisonnement.
« Demandons si quelque précepte commande à l'homme d'être sans péché. Ou bien il ne peut pas être sans péché, et alors il n'y a aucun précepte pour le lui commander; ou bien il peut être sans a péché, parce qu'il y a un précepte qui le lui commande. Une chose absolument impossible peut-elle donc être commandée? » Je réponds qu'il y a un précepte naturel qui commande à l'homme de marcher droit, et quand il ne le peut plus, de recourir à l'art médical. Il en est de même pour l'homme intérieur; le péché est une sorte de claudication spirituelle pour laquelle il n'y a d'autre remède que la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.
7e Raisonnement.
« Demandons si Dieu veut que l'homme soit sans péché. Dieu le veut assurément, donc l'homme le peut. Car ne a serait-ce pas le comble de la folie de prétendre qu'une chose que Dieu veut ne peut pas se réaliser? » Je réponds : Si Dieu ne voulait pas que l'homme fût sans péché, il n'aurait pas envoyé son Fils sans péché pour guérir les hommes de leurs péchés. Or, c'est là ce qui se fait dans les hommes qui ont la foi et qui tendent à la perfection ; il s'opère en eux de jour en jour une véritable rénovation intérieure jusqu'à ce que leur justice et leur guérison soient parfaites.
8e Raisonnement.
« Demandons comment Dieu veut que l'homme soit; est-ce avec le péché ou sans le péché? Assurément, il ne veut pas le voir dans le péché. Quelle impiété et quel blasphème ne serait-ce pas de dire que l'homme peut être avec le péché, ce que Dieu ne veut pas, et de nier qu'il puisse être sans péché, ce que Dieu veut? a Dieu a-t-il donc créé l'homme pour faire de lui une créature capable d'être ce que Dieu ne veut pas qu'elle soit, ou incapable d'être ce que Dieu veut qu'elle soit, de manière que l'homme soit plutôt contre que selon sa volonté ? » J'ai déjà réfuté ce raisonnement,mais je crois devoir ajouter «que nous sommes sauvés par l'espérance ; or, l'espérance qui se voit n'est plus l'espérance, car peut-on espérer ce que l'on voit déjà ? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons a pas encore, nous l'attendons avec patience2 ». Notre justice sera donc parfaite quand notre santé sera parfaite ; notre santé sera parfaite quand notre charité sera pleine, car la plénitude de la loi, c'est la charité3 »; enfin, notre charité sera pleine quand nous verrons Dieu comme il est en lui-même4. Quand notre foi sera devenue la vision, notre charité aura atteint son dernier degré.
