CHAPITRE XIV. PERSONNE N'EST BON, SI CE N'EST DIEU.
32e Raisonnement.
« Nos adversaires », dit encore notre auteur, « nous objectent ces autres paroles du Sauveur : pourquoi m'appelez-vous bon? personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul1 ». Au lieu de chercher à concilier ce passage avec sa doctrine, il se contente de citer d'autres textes, pour prouver que l'homme est bon. Voici comme il s'exprime : « Nous devons répondre par ces autres paroles du même Sauveur : L'homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur2; et encore: Dieu a fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants3; ailleurs: Les biens ont été créés pour les bons dès le commencement4, « enfin . Ceux qui sont bons seront des habitants de la terre5 ».
Pour lui répondre, il me suffit d'exposer le sens de ces paroles : « Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». D'abord ces paroles peuvent signifier que les créatures, quoique créées bonnes par Dieu, cessent réellement d'être bonnes dès que l'on compare leur bonté à celle de Dieu ; comme elles cessent d'avoir l'être dès qu'on les compare à l'être de Dieu, qui s'est défini lui-même : « Je suis celui qui suis6 ». Il a été dit des hommes : Aucun n'est bon, si ce n'est Dieu seul », comme il a été dit du Précurseur : « Il n'était pas la lumière7 ». Et cependant le Seigneur dit de ce même saint Jean, qu'il était un flambeau, comme il a dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde, personne n'allume le flambeau pour le placer sous le boisseau8». Toutefois le Précurseur cesse d'être la lumière, si on le compare à cette lumière qui est la vraie lumière et qui éclaire tout homme venant en ce monde9.
« Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». Ces paroles peuvent signifier également que les enfants de Dieu, quelle que soit leur vertu sur la terre, cessent d'être bons, si l'on compare leur état présent à celui qui les attend dans la perfection éternelle. Dire des hommes dont Dieu est le père, qu'ils sont mauvais, personne ne l'oserait, si le Seigneur lui-même n'avait dit : « Vous qui êtes mauvais, vous savez faire du bien à vos enfants; combien plus votre Père qui est au ciel ne fera-t-il pas du bien à ceux qui l'invoquent10 ? » Ces mots : «Votre Père » prouvent que les hommes sont les enfants de Dieu, et cependant il ne laisse pas de dire d'eux qu'ils sont mauvais. Quant à notre auteur, il ne nous explique pas comment les hommes sont bons, « quoique personne ne a soit bon, si ce n'est Dieu seul ». A celui qui demandait ce qu'il (levait faire de bien pour aller au ciel, le Sauveur, pour toute réponse, lui avait dit de chercher Celui qui a pour essence la bonté même, et dont là grâce peut seule nous rendre bons; car Dieu est le bien immuable, et il ne saurait être mauvais.
