CHAPITRE XV. QUI SE GLORIFIERA D'AVOIR LE COEUR CHASTE?
33e Raisonnement.
« On nous oppose », dit l'auteur, « ces autres paroles : Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? » Et à ce texte il en oppose beaucoup d'autres pour prouver que le coeur de l'homme peut être chaste; toutefois, il ne nous dit pas comment on doit interpréter ces paroles : « Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste? » pour éviter de mettre la sainte Ecriture en contradiction avec elle-même dans ce passage et dans ceux qu'il y oppose. Pour moi , je lui réponds- que cette conclusion : « Qui donc se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? » découle naturellement de ce qui précède : « Lorsque le roide justice siégera sur son trône ». En effet; de quelque justice que l'homme soit doué, il doit se demander s'il n'a- pas en lui quelque chose qu'il ne voit pas, et qui lui sera reproché par le Ronde justice, siégeant sur son trône; car il connaît les péchés les plus secrets, et ce n'est pas à lui que peut s'adresser cette question : « Qui connaît les péchés1 ? » Ainsi donc, « lorsque le roi de justice siégera sur: son trône, qui se gloria fiera d'avoir le coeur chaste? ou qui se glorifiera d'être pur de tout péché2? » Il n'y aura que ceux qui veulent se glorifier dans leur propre justice et non pas dans la miséricorde du souverain Juge.
34e Raisonnement.
Toutefois je reconnais l'exactitude des citations que l'auteur nous oppose. Les voici le Sauveur dit dans l'Evangile : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu3 ». David s'écrie : « Qui gravira la montagne du Seigneur ? ou qui se tiendra; debout sur son lieu saint ? Celui qui a les mains innocentes et le coeur pur4 ». Et encore : « Bénissez, Seigneur, ceux qui sont bons et qui ont le coeur droit5 ». Salomon dit également : « Les richesses sont bonnes à celui qui n'a pas de péché dans la conscience6 ». Et encore : « Détournez-vous du mal, dirigez vos mains et purifiez votre cœur de tout péché7». Saint Jean écrivait : « Si notre cœur ne nous accuse pas, mettons notre confiance en Dieu, et nous obtiendrons de lui tout ce que nous lui demanderons8 ». Tous ces passages supposent clairement le concours de la volonté pour croire, pour espérer, pour aimer, pour châtier son corps, pour faire des aumônes, pour pardonner les injures, pour prier avec instance, pour demander le progrès dans la perfection, et enfin pour dire dans toute la sincérité de son âme : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons; ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal9 ». Le but à atteindre, c'est de purifier son coeur, de chasser tout péché et d'obtenir la rémission de toutes ces souillures secrètes que le Roi de justice pourra trouver en nous lorsqu'il siégera sur son trône ; alors seulement Dieu nous verra parfaitement guéris et purifiés; « car un jugement saris miséricorde attend celui qui n'a pas fait miséricorde. Or la miséricorde l'emporte sur le jugement10 ». S'il n'en était pas ainsi, quelle espérance nous resterait-il? Car lorsque le roi de justice siégera sur son trône, « qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste? ou qui se glorifiera d'être pur de tout péché ? » Tous ceux alors qui par la miséricorde de Dieu auront été pleinement purifiés et justifiés brilleront comme le soleil dans le royaume du Père céleste11.
35e Raisonnement.
Alors aussi l'Eglise sera pleinement et parfaitement sans tache, sans ride et sans souillure, parce qu'elle sera véritablement glorieuse. L'Apôtre, en parlant de l'Eglise, ne se contente pas de dire que Dieu la fera paraître sans tache, sans ride ni autre chose semblable, il ajoute qu'elle sera « glorieuse12 », nous indiquant ainsi que le moment de la gloire, pour l’Eglise, sera aussi celui où elle sera sans tache et sans souillure. Dans l'état présent, au milieu de tant de maux et de tant de scandales, formée du mélange de tant d'hommes méchants, et abreuvée de tant d'opprobres de la part des impies, on ne saurait dire de l'Eglise qu'elle est glorieuse, quoique des rois eux-mêmes s'enrôlent sous sa bannière, ce qui peut-être constitue encore pour elle un péril plus grand et une tentation plus séduisante ; elle sera glorieuse quand se réalisera cette parole de l'Apôtre : « Lorsque le Christ, notre vie, apparaîtra, vous apparaîtrez avec lui dans la gloire13 ».
Le Sauveur dans sa nature humaine par laquelle il s'est constitué le médiateur de l'Eglise, n'a été glorifié que par la gloire de la résurrection ; de là cette parole: « L'esprit a n'avait pas été donné , parce que Jésus n'était pas encore glorifié14» ; comment donc oserait-on affirmer que l'Eglise peut être glorieuse avant sa propre résurrection ? Sur cette terre, Dieu la purifie dans le bain de l'eau par la parole15, effaçant ses péchés passés, et la délivrant de ta domination des mauvais anges; il la guérit ensuite de toutes ses maladies, et la fait parvenir enfin à cet heureux état où elle sera glorieuse, sans tache et sans souillure. En effet, « ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a glorifiés16 ». Je crois que c'est à ce mystère que s'appliquent ces paroles : « Voici que je chasse les démons et j'accomplis la guérison aujourd'hui et demain, et le troisième jour je serai consommé17 », c'est-à-dire arrivé à la perfection. Le Sauveur parlait évidemment de son corps mystique, qui est l'Église ; ces jours qu'il rappelle ne sont que les différents degrés de la justification dont il emprunte le symbole aux trois jours qui précédèrent son triomphe.
36e Raisonnement.
Je crois qu'il existe une différence entre le cœur droit et le cœur pur. Le coeur droit s'élance vers ce qui est en avant, et oublie ce qui est en arrière, de telle sorte que sans se détourner de sa voie, et sans se désister de sa première intention, il parvient là où habite Celui qui a le coeur pur18. Chacun de ces caractères se trouve formulé dans les paroles suivantes : « Qui montera sur la montagne du Seigneur, ou qui se tiendra debout dans son lieu saint ? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur». Celui qui a les mains innocentes montera, et celui qui a le coeur pur se tiendra debout; le premier aspire au but et le second y est parvenu. C'est là ce qui nous fait mieux comprendre cette autre parole : « Les richesses sont bonnes pour celui qui n'a point de péché dans sa conscience ». Ce sera le moment des vraies richesses, lorsque toute la pauvreté aura disparu, c’est-à-dire lorsque toute infirmité aura été détruite.
Sur la terre « l'homme se détourne du péché » lorsqu'il marche dans le chemin du bien, et se renouvelle de jour en jour, lorsqu'il « dirige ses mains » pour accomplir les oeuvres de miséricorde et qu'il purifie son cœur de tout péché ; enfin, lorsqu'il pardonne lui-même afin qu'il obtienne le pardon de ses propres fautes n. Dans ce sens, il n'y a plus ni orgueil ni jactance à dire avec saint Jean : « Si notre cœur ne nous reproche rien, nous avons confiance en Dieu, qui nous accordera tout ce que nous lui demanderons ». L'Apôtre nous invite à agir de telle sorte que notre cœur ne trouve rien à nous reprocher dans la prière ; c'est-à-dire, qu'après avoir formulé cette demande : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons », nous n'ayons pas la honte de ne pas faire ce que nous disons, ou que, n'osant pas dire ce que nous ne faisons pas, nous ne perdions toute confiance dans nos prières.
Ps. XVIII, 13. ↩
Prov. XX, 8, 9. ↩
Matth. V, 8. ↩
Ps. XXIII, 3, 4. ↩
Ps. CXXIV, 4. ↩
Eccli. XIII, 30. ↩
Id. XXXVIII, 10. ↩
I Jean, II, 22, 23. ↩
Matth. VI, 12, 13. ↩
Jacq. II, 13. ↩
Matth. XIII, 43. ↩
Ephés. V, 27. ↩
Coloss. III, 4. ↩
Jean. VII, 39. ↩
Ephés. V, 26. ↩
Rom. VIII, 30. ↩
Luc, XIII, 32. ↩
Philipp. III, 13, 14. ↩
