I. Raisons et natures du combat.
Sans faire violence à la pensée des Pères nous avons pu ouvrir ce recueil par une synthèse qui d'ailleurs respecte le caractère pratique de leur enseignement. Cependant le premier article de leur programme, déjà connu de ceux qu'attire leur réputation, c'est qu'il faut combattre, et c'est aussi la leçon qui revient continuellement dans la suite, celle que leurs fidèles donneraient spontanément comme le meilleur résumé de leur doctrine. Nous ne l'avons pas proposé tout d'abord pour ne pas laisser s'insinuer ou s'établir la pensée qu'ils cultivent l'art guerrier pour lui-même comme des professionnels d'athlétisme, qui mettraient le but de l'éducation dans le développement des muscles. Dans le commentaire de la maxime: Vince teipsum, ils sous-entendent les principes supérieurs et fondamentaux.
Au début des Institutions, ce tableau de la vie extérieure du monastère, Cassien présente le moine, armé comme un soldat prêt à combattre; un peu plus loin, il assimile le novice qui se présente pour être formé par les anciens au jeune homme qui ambitionne de concourir aux jeux olympiques. C'est toujours de combat qu'il s'agit, mais les comparaisons sont faites tantôt avec la vie militaire, tantôt avec la vie du stade. Si le symbolisme des vêtements du moine est pris en grande partie de l'armure du soldat, c'est à la langue du stade qu'est emprunté le mot qui désigne le travail spirituel, l'ascèse.
Mais d'où vient la nécessité de combattre? De ce que nous avons dans notre nature un fond mauvais qui est en opposition avec la loi que Dieu nous impose. L'ascète dominera ces tendances rebelles non pour la pure satisfaction d'être maître chez lui, mais pour soumettre tout son être au souverain suprême.
Avec ce mot d'ordre de combat qui est aussi celui de philosophes profanes, la révélation chrétienne désigne comme objectifs ces puissances de désordre, héritage du premier homme pécheur.
La loi du péché est dans nos membres et dans tout notre être, car le mot de chair s'étend aux dispositions orgueilleuses de l'esprit.
C'est cette loi qui est insérée dans la chair même de tous les hommes, qui s'oppose à la loi de notre esprit, qui lui défend de voir et de contempler.
« Ils se plaisent dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur, qui s'élevant au-dessus des choses visibles tâche de s'unir toujours à Dieu seul. Mais ils remarquent qu'une autre loi qui est dans leurs membres, c'est-à-dire dans la nature et la condition de l'homme, s'oppose à la loi de leur esprit... le contraignant de quitter la présence du souverain bien, pour s'abaisser vers les choses de la terre. »
Ce principe de mal que tout homme porte en soi se manifeste suivant les variétés des natures individuelles, cependant il y a des formes de combat communes à tous. Une classification est dictée par la distinction philosophique du raisonnable, de l'irascible et du concupiscible.
Mais la division la mieux comprise, retenue jusqu'à nos jours dans les catéchismes où les petits catholiques apprennent les éléments de la foi et de la morale, est la répartition de toutes les mauvaises tendances en péchés capitaux.
Cassien en comptait huit, la tradition déjà fixée, du temps de saint Thomas s'est arrêtée au nombre de sept. Le grand docteur a établi le fondement rationnel et de ces distinctions et de ce nombre. Ses raisons avaient échappé aux anciens Pères, mais ils s'attachaient à dénoncer aux jeunes candidats ces différents ennemis, leurs armes, leurs manèges, pour leur éviter les surprises.
Que celui qui renonce au monde ait à coeur d'imiter les soldats les plus vaillants ! Que l'audace et l'obstination de ces ennemis qu'il porte en lui-même ne l'intimident pas ! Ceux qui ont à dompter des passions violentes ont plus de mérite que ceux naturellement portés au bien.
Le combattant doit développer ses moyens d'observation. Déjà, Antoine donne la pratique de l'examen comme une forme nécessaire de la tactique.
Mais aucune habileté, aucune offensive ne donne une victoire définitive. On ne se sépare pas de sa nature on l'emporte au désert; un ascète qui a généreusement trouvé la complète solitude se surprend victime de la colère, C'est toute la vie que durera le combat.
Paphnuce ayant passé beaucoup d'années dans une austérité si rigoureuse, qu'il se croyait tout à fait dégagé des pièges de la concupiscence et qui avait toujours eu le dessus dans les attaques du démon, est obligé de reconnaître qu'il faut une plus grande vertu pour éteindre en soi tous les mouvements de la chair que pour chasser les démons des corps qu'ils possèdent.
