9.
Que tout ceci soit dit pour nous faire comprendre la nécessité d'étudier plus attentivement le règne que le Seigneur exerce par la mystérieuse application de son incarnation et de sa passion. En tant qu'il est le Verbe de Dieu, son règne n'a ni fin, ni commencement, ni interruption. Mais en tant que Verbe fait chair 1, il a commencé à régner chez les croyants par la foi à son Incarnation. Ce que le prophète exprime ainsi : « C'est par le bois que le Seigneur a régné 2. » Par là aussi il a anéanti toute principauté, toute puissance et toute vertu, en sauvant, non par la gloire, mais par l'humilité, ceux qui croient en lui. C'est là le secret caché aux sages et aux prudents, et révélé aux petits 3 ; car il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication 4. Et, parmi ces petits, l'Apôtre affirme qu'il ne sait autre chose que Jésus, et Jésus crucifié 5. Cette prédication est nécessaire, jusqu'à ce que tous les ennemis du Christ soient sous ses pieds, c'est-à-dire que tout l'orgueil du siècle ait cédé et se soit soumis à son humilité, figurée ici, ce me semble, par ses pieds : ce qui est déjà accompli en grande partie, et que nous voyons s'accomplir tous les jours.
Mais pourquoi tout cela ? Pour remettre le royaume à Dieu et au Père, c'est-à-dire pour élever jusqu'à le voir dans cette nature qui le rend égal au Père, ceux qui se seront nourris de la foi à son Incarnation. Déjà il l'annonçait à ceux qui croyaient en lui, quand il leur disait : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres 6. » En effet, il remettra le royaume à son Père quand il règnera dans ceux qui contemplent la vérité, comme étant égal à son Père, moque, par lui-même, Fils unique, il rendra le Père visible en sa substance. Maintenant il règne chez les croyants comme s'étant anéanti et revêtu de la forme d'esclave 7. Mais alors il remettra le royaume à Dieu et au Père, lorsqu'il aura anéanti toute principauté, toute puissance et toute vertu. Et comment les anéantira-t-il, si ce n'est par l'humilité, la patience et l'infirmité ? Quelle principauté n'est pas réduite à néant, quand le Fils de Dieu ne règne chez les croyants que parce que les princes du siècle l'ont jugé ? Quelle puissance restera debout, quand Celui par qui tout a été fait n'a d'empire sur les fidèles que pour avoir été soumis aux puissances, au point de dire à un homme : « Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, s'il ne t'avait été donné d'en haut 8 ? » Quelle vertu ne sera pas détruite, quand Celui par qui les cieux ont été affermis, ne règne sur les croyants que parce qu'il a été infirme jusqu'à subir la croix et la mort ? C'est ainsi proprement que le Fils de Dieu règne par la foi des croyants. Car ce n'est pas du Père qu'on peut dire ou croire qu'il s'est incarné, qu'il a été jugé ou mis en croix. Or comme Dieu égal au Père, il règne avec le Père sur ceux qui contemplent la vérité. Il ne perd donc point lui-même le royaume qu'il remettra à Dieu et au Père, quand il conduira ceux qui croient maintenant en lui, de la foi de son Incarnation, à la possession de la divinisé ; mais le Père et le Fils se donneront, comme une seule nature, pour faire le bonheur des élus qui les contempleront. Et tant que les hommes ne seront pas capables de voir clairement l'égalité du Père et du Fils, il faut que le Fils règne par ce que les hommes peuvent comprendre en lui, par ce qu'il a pris volontairement, c'est-à-dire par l'humilité de l'Incarnation, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, c'est-à-dire encore jusqu'à ce que tout orgueil mondain se soit abaissé devant l'humilité de son Incarnation.
