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Mon but est donc de te prouver, si je puis, que c'est aux Manichéens une témérité sacrilège de s'emporter contre ceux qui, suivant l'autorité de la foi catholique, croient tout d'abord la vérité, qu'une âme pure voit, mais qu'ils ne peuvent encore apercevoir; et qui se prédisposent et se préparent ainsi à recevoir la lumière divine. Tu sais, mon cher Honorat, que si nous sommes tombés dans les piéges de ces sectaires, c'est uniquement parce que, écartant une autorité redoutable, ils disaient se servir de la raison pure et simple pour mener à Dieu ceux qui voudraient les entendre, et pour les délivrer de toute espèce d'erreur. En effet, quel motif m'a fait, pendant près de neuf ans, mépriser la religion que mes parents m'avaient inculquée dans ma première enfance, et suivre assidûment les leçons de ces docteurs? N'est-ce pas parce qu'ils prétendent qu'on nous inspire des terreurs superstitieuses, qu'on exige de nous la foi avant la raison, tandis que eux ne contraignent personne à croire, si l'on n'a pas d'abord discuté et vu clairement la vérité ? Quel homme ne serait attiré par de telles promesses, surtout s'il est jeune, passionné pour la vérité, et en outre formé à l'orgueil et au bavardage par les discussions des quelques savants qu'il a entendus à l'école, tel enfin qu'ils m'ont trouvé à cette époque, méprisant ce que j'appelais des contes de vieille femme, et désireux d'acquérir et de posséder ce qu'ils promettent, la vérité claire et sans mélange ?
Mais d'un autre côté; quel motif m'engagea à ne pas m'attacher entièrement à eux, de sorte que je restais, comme ils disent, au rang des auditeurs, et que je ne renonçais pas aux espérances et aux choses de ce monde? N'est-ce pas parce que je les trouvais, eux aussi, avec leur éloquence infatigable, plus habiles à réfuter les doctrines des autres, qu'à prouver et asseoir solidement les leurs propres? Mais à quoi bon parler de moi qui suis maintenant chrétien catholique? A cette source abondante j'ai été retremper avec avidité mes lèvres arides et depuis bien longtemps desséchées; ces mamelles fécondes de l'Eglise, je les ai pressées avec des pleurs et des gémissements profonds, pour en faire couler le lait qui devait soulager ma misère, et ramener en moi l'espoir de la vie et du salut. Ainsi donc ne parlons pas de moi-même : pour toi, qui n'es pas encore chrétien , qui cédant, non sans peine, à mes conseils, alors que tu avais pour ces sectaires une aversion profonde, as cru bien faire d'aller les entendre et voir ce qu'ils sont, rappelle tes souvenirs, et dis-moi, je te le demande, ce qui t'a charmé en eux, si ce n'est une grande présomption, une facilité extrême à promettre des raisons? Tu sais à quelles longues et véhémentes discussions ils se livraient sans cesse sur les erreurs des ignorants, ce qui est bien facile pour le premier demi-savant venu, comme je l'ai reconnu un peu tard. S'ils nous infusaient en même temps quelques-unes de leurs erreurs, nous croyions devoir par nécessité les adopter, faute d'autres doctrines plus satisfaisantes. Ils faisaient ainsi pour nous ce que fait l'oiseleur perfide, qui plante près d'une source d'eau des pieux enduits de glu pour prendre les oiseaux altérés : il cache et dérobe aux yeux, par tous les moyens, les autres sources qui sont dans le voisinage, ou bien il y place des épouvantails qui détournent ses victimes, et les obligent, n'ayant pas le choix d'un appui, à tomber dans ses piéges.
