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Mais peut-être ici désires-tu avoir un motif pour te persuader que la foi doit avant la raison te servir de maître. La chose est facile, si toutefois tu m'écoutes sans prévention. Mais, pour plus de commodité, je désire que tu répondes à mes questions, et d'abord que tu me dises pourquoi il te semble que la foi doit être écartée. Parce que, diras-tu, la crédulité même, d'où vient le mot crédule, me semble être un défaut, sans quoi nous n'emploierions pas ce terme comme nous le faisons, dans un sens injurieux. Car si l'homme soupçonneux est répréhensible en ce qu'il soupçonne ce qui ne lui est pas démontré, combien est plus répréhensible l'homme crédule, qui ne diffère du soupçonneux qu'en ce que l'un hésite à admettre ce qu'il ne connaît pas, tandis que l'autre n'hésite point.— Pour le moment, j'admets cette opinion et cette distinction. Mais tu sais aussi que le mot curieux ne s'emploie guère sans une idée de reproche, tandis que le mot studieux implique au contraire une idée d'éloge. Voyons donc, si tu veux bien, la différence qu'il y a aussi pour toi entre ces deux termes. Tu répondras sans doute que, bien que leur conduite à tous deux soit inspirée par un grand désir de savoir , cependant le curieux s'enquiert de choses qui ne le regardent pas, tandis que le studieux s'enquiert de choses qui le regardent. Mais un homme évidemment est intéressé au salut de sa femme et de ses enfants; eh bien ! que cet homme, se trouvant en pays étranger, demande avec empressement à tous ceux qui arrivent, comment se portent et ce que font sa femme et ses enfants, assurément il est mû par un grand désir de connaître; et cependant nous ne l'appelons pas studieux, cet homme qui désire vivement connaître, et connaître des choses qui l'intéressent au plus haut point. Tu vois donc que cette définition du mot studieux, n'a rien de solide, puisque tout homme studieux vent connaître, il est vrai, des choses qui le concernent, mais que tous ceux qui agissent ainsi, ne peuvent être appelés de ce nom; il s'applique à celui qui s'enquiert avec empressement de ce qui peut nourrir noblement et embellir son âme. Cependant, nous appelons bien quelqu'un studens, surtout quand nous ajoutons ce qu'il désire entendre dire. On peut aussi appeler studiosus suorum, celui qui n'aime que les siens; toutefois, si l'on n'ajoute pas un complément, je ne ,pense pas que l'on puisse dire en général studiosus. Je ne dirais pas d'un homme désireux d'apprendre ce que font les siens, qu'il est studiosus audiendi, à moins que la joie d'apprendre une bonne nouvelle ne lui fît souvent désirer qu'on la lui répétât; mais je dirais qu'il est studens, ne posât-il la question qu'une fois. Revenons maintenant au mot curiosus, et dis-moi : si quelqu'un aimait entendre un conte qui ne lui servît absolument à rien, c'est-à-dire qui ne le concernât pas, et cela, sans le demander d'une façon fatigante et souvent, mais fort rarement, fort tranquillement, à table, ou dans quelque cercle, ou dans quelque réunion, te paraîtrait-il curiosus ? Je ne le pense pas; mais il te paraîtrait certainement soucieux de la chose qu'il aimerait entendre raconter. La définition du mot curiosus doit donc être modifiée aussi de la même façon que celle du mot studiosus. Vois s'il n'en est pas de même des termes employés précédemment. Ne doit-on pas éviter d'appeler soupçonneux celui qui a quelquefois quelque soupçon, et crédule celui qui croit quelquefois à quelque chose ? Ainsi, de même qu'il y a une grande différence entre l'homme qui désire quelque chose, et l'homme généralement désireux, et aussi entre l'homme qui s'occupe d'une chose et l'homme curieux, il y en a une très-grande aussi, entre l'homme qui croit et l'homme crédule.
