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Les moeurs, quelles qu'elles soient, exercent sur les âmes un pouvoir si grand que, même ce qu'il y a de mauvais en elles, et qui est dû pour l'ordinaire à l'excès des passions, nous sommes plus vite disposés à le _:blâmer et à le maudire qu'à le quitter ou à le changer. Te semble-t-il que la Providence n'ait que médiocrement songé à nous, quand tu vois non-seulement quelques savants de premier ordre démontrer que rien sur la terre, ni parmi les astres, rien enfin de ce qui touche nos sens, ne doit être adoré à la place de Dieu, auquel il faut s'élever par l'intelligence seule ; mais même la foule ignorante des personnes des deux sexes, parmi tant de nations diverses, proclamer hautement la même croyance ? Quand tu vois l'abstinence aller jusqu'à se refuser presque le pain et l'eau, le jeûne non-seulement pratiqué chaque jour, mais encore prolongé pendant plusieurs jours consécutifs? Quand tu vois pousser la chasteté jusqu'à mépriser le mariage et la postérité, la patience jusqu'à se rire des tortures et des flammes, la libéralité jusqu'à distribuer son patrimoine aux pauvres, enfin le dédain pour tout ce qui est de ce monde jusqu'à désirer la mort? Il en est peu, dira-t-on, qui tiennent cette conduite, moins encore qui la tiennent d'une manière prudente et sage ; mais les peuples l'approuvent, les peuples en entendent le récit avec plaisir, les peuples l'aiment enfin, les peuples s'en prennent à leur faiblesse de ne pouvoir l'imiter, ce qu'ils ne font pas sans quelque élévation de leur âme vers Dieu, et sans quelques étincelles de vertu.
Voilà ce qu'a fait la divine Providence au moyen des prédictions des prophètes, de l'humanité et de la doctrine du Christ, des voyages des Apôtres, des outrages, des tortures, du sang et de la mort des martyrs, au moyen de la vie admirable des saints, et, au milieu de tout cela, à l'aide des miracles dignes d'accompagner tant de grandes actions et de vertus, selon que les temps le demandaient. A la vue de cette protection puissante du ciel et des beaux résultats qu'elle a produits, hésiterons-nous à nous réfugier dans le sein de cette Eglise, qui s'est fait reconnaître du genre humain tout entier par une constante succession d'évêques, à commencer par le Siège apostolique, malgré les aboiements de l'hérésie condamnée soit par le jugement du peuple lui-même, soit par l'autorité des conciles, soit enfin par la majesté des miracles? A cette Eglise revêtue d'une autorité sans égale, ne pas vouloir donner le premier rang, c'est certainement une impiété extrême, une téméraire arrogance. Car, s'il n'est point de voie qui mène plus sûrement à la sagesse et au salut que de plier sa raison à la foi, n'est-ce pas de l'ingratitude envers un Dieu secourable et bienfaisant, que de vouloir résister à une autorité qui se recommande par des motifs si puissants ? Et si toute science, quelque peu importante, quelque facile qu'elle soit, exige les leçons d'un maître pour être comprise, n'est-ce pas le comble de la témérité et de l'orgueil, quand il s'agit de livres remplis d'enseignements divins, de se refuser à entendre leurs interprètes, et de vouloir les condamner sans les connaître ?
