11.
Les choses étant ainsi, tu vas voir que pour les Ecritures il y a les mêmes distinctions à établir. En effet, on peut faire les mêmes remarques. Ou bien l'ouvrage est bon, et l'interprétation du lecteur est mauvaise ; ou bien l'ouvrage et l'interprétation sont tous deux mauvais; ou bien l'interprétation est bonne, et la pensée de l'écrivain ne l'est pas. De ces trois choses je n'ai pas à désapprouver la première, et je m'inquiète peu de la dernière. Car je ne puis blâmer un homme qui, sans qu'il y ait de sa faute, a été mal compris, ni être fâché qu'on lise un écrivain qui n'a pas vu la vérité, quand je vois que le lecteur n'en souffre pas. Un seul cas défie toute critique et tout reproche; c'est quand l'ouvrage est bon et interprété en bonne part par le lecteur. Toutefois ce cas se divise encore en deux, car il n'exclut pas radicalement l’erreur. En effet, il arrive souvent que l'écrivain pensant bien, le lecteur aussi pense bien, mais autrement que le premier, tantôt mieux, tantôt moins bien, quoique toujours utilement. Or, quand -notre pensée est conforme à celle de l'écrivain que nous lisons, et que cette pensée est utile pour la conduite de la vie, alors on est pleinement dans la vérité, et l'erreur n'est plus possible. Ce cas se présente très-rarement, quand la lecture roule sur des matières très-obscures ; et alors une connaissance nette est, à mon avis, impossible; tout ce qu'on peut faire, c'est de croire. En effet, l'auteur étant absent ou mort, sur quelles preuves établirai-je ma conclusion, de manière à pouvoir jurer que telle est sa manière de voir, puisque, fût-il présent et interrogé, il y aurait peut-être bien des choses qu'il se ferait un devoir de cacher, s'il n'était pas méchant ? Pour connaître une chose, je pense que peu importe la qualité de l'écrivain ; toutefois l'on fait très-bien de croire bon celui qui, dans ses ouvrages, a consulté l'intérêt du genre humain et de la postérité.
