CHAPITRE XXIV. LA FOURMI PROPOSÉE COMME MODÈLE A L'HOMME.
Salomon écrit : « Imitez la fourmi et admirez sa prévoyance ; depuis l'été jusqu'à l'hiver elle ne cesse de recueillir des provisions pour sa subsistance1 ». Les Manichéens ne voient pas que ces paroles doivent être prises dans un sens spirituel, et en concluent que c'est pour nous un devoir de thésauriser sur la terre, et même d'entasser d'abondantes récoltes dans les greniers, comme le font certains hommes, mais sans qu'aucun précepte les y oblige. A cette sentence, Adimantus s'empresse donc d'opposer cette parole du Sauveur : « Ne vous tourmentez pas du lendemain2 ». Ils ne comprennent pas que ces paroles n'ont pour but que de nous empêcher d'attacher notre coeur aux choses temporelles et d'éprouver des craintes trop sensibles de manquer du nécessaire, et cela afin de nous rendre aptes à servir Dieu ou à nous montrer généreux envers nos frères. En effet, si vous admettez qu'il y ait un précepte formel de ne pas conserver de pain pour le lendemain, ce précepte n'est par personne mieux observé que par ces vagabonds romains, nommés Passifs, qui, aussitôt rassasiés des aliments qui leur sont chaque jour distribués, donnent aussitôt ou jettent ce qui leur reste; les disciples mêmes du Sauveur étaient loin d'une aussi haute perfection, puisqu'ils portaient en voyage l'argent qui pouvait leur être nécessaire; saint Paul lui-même avait quelque chose à leur envier, puisque, malgré son mépris pour les choses de la terre, il sut si bien administrer ce qui regardait les nécessités de la vie présente qu'il ne craint pas, au sujet des veuves, de formuler le précepte suivant : « Si un fidèle a des veuves, qu'il leur donne ce qui leur est nécessaire, afin de ne pas aggraver les charges de l'Eglise et afin qu'elle puisse suffire à l'entretien des veuves véritables3 ». Quant à cet exemple tiré de la fourmi, de même que pendant l'été elle rassemble ce qui lui sera nécessaire pour se nourrir pendant l'hiver, de même chaque chrétien, dans les moments de paix et de tranquillité, figurés par l'été, fait une ample provision d'instructions et de grâces célestes qui lui permettront d'entretenir sa vie spirituelle quand seront venus les moments de trouble et de tribulations figurés par l'hiver. En effet, l'homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de toute parole sortie des lèvres de Dieu4. Enfin, si nos adversaires s'irritent parce qu'il est dit que la fourmi enfouit dans la terre ce qu'elle recueille, qu'ils s'irritent donc aussi contre ce trésor dont le Sauveur nous dit qu'il fut trouvé enfoui dans un champ5.
