CHAPITRE XXVI. SI DIEU EST AUTEUR DU MAL.
Nous lisons dans Amos : « S'il peut se faire que deux hommes voyagent de compagnie sans se connaître et que le lion retourne sans sa proie vers son lionceau; si un oiseau tombe sur la terre dans le filet, sans qu'il lui ait été tendu par l'oiseleur; si on tend un piège sans motif et pour ne rien prendre ; si on sonne de la trompette dans une ville sans que le peuple soit dans l'épouvante, il pourra aussi arriver quelque mal dans la ville sans qu'il vienne du Seigneur1 ». Or, le mal dont il s'agit dans ce passage, ce n'est pas le péché, mais un châtiment quelconque. En effet, le mal peut se diviser en deux espèces : celui dont l'homme est l'auteur et celui dont il est la victime ; celui dont il est l'auteur, c'est le péché; celui dont il est victime, c'est le châtiment. Or, c'est de cette seconde espèce, c'est-à-dire du châtiment, que parle le Prophète. Car tel est l'ordre établi par la divine Providence, souveraine arbitre de toutes choses : l'Homme peut faire le mal comme il le veut, sauf à subir le châtiment qu'il ne veut pas. Dès lors, en accusant le Prophète, les Manichéens ne prouvent-ils pas qu'ils n'ont pas lu ces paroles de l'Évangile: « Deux passereaux ne se vendent-ils pas un denier, et cependant l'un d'eux ne tombe jamais à terre sans la volonté de votre Père2 ? » Le mal que Dieu fait n'est donc pas un mal pour Dieu lui-même, mais pour ceux qu'il punit. D'où il suit qu'à proprement parler, Dieu ne fait que le bien, parce que tout ce qui est juste est bien, et que les châtiments infligés par Dieu sont toujours justes. Que sert-il donc à Adimantus d'objecter ces paroles du Sauveur : « L'arbre bon porte de bons fruits et le mauvais arbre ne porte que de mauvais fruits3 ? » L'enfer est assurément un grand mal pour le réprouvé; et cependant la justice de Dieu est bonne, elle est le fruit d'un bon arbre. Il est donc vrai de dire que Dieu amasse sur la tête des méchants, à cause de leurs péchés, un trésor de colère pour le jour des révélations et du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres4. Du reste, la parabole de ces deux arbres est évidemment la figure de deux hommes, du juste et du pécheur, et en effet, à moins de changer sa propre volonté, personne ne peut faire le bien. Quant à la mesure de ce que nous pouvons, le Sauveur la détermine dans ces autres paroles : « Ou rendez l'arbre bon, et par là même son fruit, ou rendez l'arbre mauvais, et ses fruits le seront aussi ». Ces paroles s'adressaient à ceux qui se flattaient de faire de leurs paroles autant d'actes bons, quand ils étaient eux-mêmes mauvais, c'est-à-dire qu'étant de mauvais arbres ils se flattaient de porter de bons fruits. Le Sauveur ajoute : « Hypocrites, comment pouvez-vous parler en bien, puisque vous êtes mauvais vous-mêmes5?» Un mauvais arbre ne peut donc porter de bons fruits; mais de mauvais qu'il était il peut devenir bon et porter de bons fruits. Écoutons l'Apôtre : « Autrefois vous n'étiez que ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ». En d'autres termes: vous avez été autrefois des arbres mauvais, et dès lors vous ne pouviez pas porter de bons fruits; maintenant « vous êtes lumière dans le Seigneur », c'est-à-dire que vous êtes devenus des arbres bons et que vous donnez de bons fruits. C'est ce qu'il indique par les paroles suivantes : « Marchez comme des enfants de lumière ; car le fruit de la lumière, c'est d'accomplir toute justice et toute vérité ; approuvant tout ce qui peut plaire à Dieu6 ». Si Adimantus n'était pas animé de la plus entière malveillance, il comprendrait par l'Évangile luimême dans quel sens on peut dire que Dieu fait le mal. En effet, nous y lisons ce qu'il y a lu lui-même : « Tout arbre qui ne porte pas « de bons fruits sera coupé et jeté au feu7». Le mal, que Dieu fait, c'est-à-dire les châtiments qu'il inflige aux pécheurs, c'est de jeter l'arbre au feu, l'arbre qui, persévérant dans sa malice, ne veut pas devenir bon. Ce .mal n'est donc que pour l'arbre lui-même. Or, comme je l'ai dit, Dieu ne produit pas de fruits mauvais, puisque le fruit de la justice c'est de punir le péché.
