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Nous lisons au Deutéronome : « Si vous écoutez la voix du Seigneur votre Dieu, vous serez béni dans votre champ, vous serez béni dans votre pré, le fruit de votre ventre, celui de votre terre et le fruit de vos bestiaux sera béni; vos troupeaux de boeufs et vos troupeaux de brebis seront bénis; à l'entrée et à la fin vous serez béni1 ». A ce chapitre, les Manichéens opposent ce passage de l'Evangile : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. Car que sert à l'homme de gagner le monde tout entier s'il vient à perdre son âme? Ou bien, que peut obtenir l'homme en échange de son âme2? » Pour montrer qu'il n'y a aucune contradiction entre ces deux passages, il suffit de se rappeler ce principe universellement admis, savoir qu'à un peuple encore charnel il fallait des promesses et des récompenses temporelles, et tout cela sous un seul et même Dieu, auteur de toute créature supérieure et inférieure. Adimantus lui-même n'a pas craint de citer ces paroles du Sauveur : « Ne jurez jamais, ni parle ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, parce qu'elle est l'escabeau de ses pieds3 ». Dans l'Ancien Testament nous retrouvons quelque chose de semblable : « Le ciel est mon trône et la terre est l'escabeau de mes pieds4 ». Quoi d'étonnant, dès lors, que Dieu donne les biens de son trône à ceux qui le servent spirituellement? Entre l'esprit et la chair, la supériorité n'appartient-elle pas à l'esprit comme elle appartient aux choses célestes sur les choses terrestres? Toutefois nous ne disons pas qu'on ne puisse interpréter dans le sens spirituel, le champ, le pré, le fruit du ventre, le fruit de la terre et des animaux, les troupeaux de boeufs et de brebis. Mais cette interprétation ne rentre pas dans le sujet que nous traitons.
D'un autre côté, quoique le Nouveau Testament ait surtout en vue l'homme nouveau dans les récompenses et l'héritage qu'il promet, il ne laisse pas cependant, s'adressant à ceux-là mêmes qui méprisent et abandonnent les biens temporels pour mieux suivre l'Evangile, de leur promettre la multiplication de ces mêmes biens dès cette vie. En effet, c'est le Sauveur lui-même qui a annoncé qu'ils recevraient au centuple dès ce monde, et la gloire éternelle dans le siècle futur5. De même, dans l'Ancien Testament, nous lisons : « Pour l'homme fidèle, ce monde est tout entier de la richesse6 ». C'est là ce qui inspirait à l'Apôtre cette parole triomphante : « Nous sommes comme des hommes qui n'ont rien et qui possèdent tout7 ». Si donc à cette gloire éternelle dont les saints ont reçu la promesse, le Nouveau Testament ajoute la possession des biens passagers de ce monde, possession d'autant plus abondante que le mépris de ces mêmes biens aura été plus profond; faut-il s'étonner que l'Ancien Testament, qui ne s'adressait qu'à un peuple charnel, ait promis des récompenses temporelles? Qu'y a-t-il là de contradictoire avec l'idée d'un seul et même Dieu, maître souverain de tous les temps et gouvernant toutes choses avec la modération et la sagesse que réclame la diversité des besoins et des siècles?
