A LA VIERGE EUSTOCHIA.
Mort du sénateur Pammaque. — De Marcella. — Siège de Rome par Marie. — Massacre d'un grand nombre d'habitants. — Douleur de saint Jérôme. — Il commente le prophète Ezéchiel, le plus difficile des prophètes.
En 410.
Je désirais, ô Eustochia! vierge du Christ, je désirais entamer l'explication d'Ezéchiel (d'après la promesse que je vous avais faite, ainsi qu'à Paula, votre mère, de glorieuse mémoire), et mettre, comme on dit, la dernière main à mon ouvrage sur les prophètes; lorsque tout à coup j'appris la mort de Pammaque et de Marcella, le siège de Rome et le sommeil éternel d'un grand nombre de nos frères et de nos sueurs. Alors je fus si consterné et si stupéfait que je ne pus m'occuper, jours et nuits, que du salut général; il me semblait que la captivité de nos saints m'était commune, et il m'était comme impossible de proférer une parole avant d'avoir obtenu des nouvelles plus certaines. En attendant, je restais suspendu entre la crainte et l'espérance, et je souffrais cruellement des blessures de nos frères.
Et alors donc que la lumière du monde la plus éclatante s'éteignait, que la tête de l'empire romain tombait abattue, ou plutôt que l'univers entier périssait dans la chute d'une seule ville, « je restais silencieux et humilié; et je me taisais loin des hommes de bien, et ma douleur se renouvelait. Mon cœur s'échauffait dans ma poitrine, et dans ma méditation j'étais brûlé de mille feux. » Mais je n'ai point oublié cette sentence : « Quand l'âme souffre , les longs développements se résolvent en des sons importuns. » Cependant , comme vous ne cessez de me solliciter, et que toute blessure , quelque profonde qu'elle soit, finit par se cicatriser; que d'ailleurs l'infâme Scorpion1, notre persécuteur, est maintenant enseveli entre Encelade et Porphyre, sur le rivage de Sicile; que l'hydre à plusieurs tètes ne darde plus contre nous ses langues venimeuses; que le temps est venu, non pas de répondre aux arguments captieux des hérétiques, mais bien de s'appliquer à l'exposition des saintes Ecritures, je vais commencer l'interprétation du prophète Ezéchiel, dont la tradition des Hébreux signale les grandes difficultés. Chez ce peuple, en effet, personne, à moins qu'il n'eût atteint l'âge où l'on conférait les fonctions sacerdotales, personne n'était admis à lire le commencement de la Genèse, le Cantique des Cantiques, le commencement et la fin des prophéties d'Ezéchiel; et cela, afin que la vie de l'homme tout entière pût l'amener graduellement à la science parfaite et à l'intelligence des choses mystiques. La miséricorde du Seigneur aidant, si nous pouvons conduire à bonne fin cet ouvrage, nous passerons à Jérémie, au grand prophète qui fait retentir, sous la figure de Jérusalem, dans ses Lamentations d'un quadruple dialecte, les quatre plages opposées de ce vaste univers.
Il s’agit sans doute ici de la mort de Rufin. ↩
