La pureté du coeur
C'est donc cette pureté de coeur qui doit être l'unique but de nos actions et de nos désirs. C'est pour elle que nous devons rechercher la solitude, nous mater par les jeûnes, la veille, et le travail, souffrir la nudité, nous occuper à la lecture, et nous exercer en toutes sortes de vertus, afin de pouvoir par tous ces exercices, rendre notre coeur invulnérable à toutes les passions, le conserver dans la pureté, et monter par ces degrés jusqu'au comble d'une charité parfaite. Nous ne devons pas aussi, lorsque quelque occupation raisonnable et nécessaire nous empêche de continuer nos exercices dans toute leur rigueur, entrer dans la tristesse, et nous laisser aller à l'impatience et à la colère, puisque tout ce que nous devons faire et que nous avons été obligé de discontinuer, n'était que pour combattre ces mêmes passions, et les détruire dans notre coeur. On perd plus par un mouvement de colère, qu'on ne pourrait gagner par un jeûne, et on retire moins de fruit d'une lecture, qu'on ne reçoit de désavantage par un mépris qu'on fait de son frère. Il faut toujours rapporter nos veilles, nos jeûnes, notre retraite, notre application à méditer l'Écriture, et toutes ces choses semblables qui ne sont que comme des effets et des suites de notre piété, au principal but où nous devons tendre, c'est-à-dire, à cette pureté du coeur, qui n'est autre chose que la charité. (Coll., I, 7. P. L., 49, 489.)
L'ascète dirige ses intentions vers la charité ou les vertus qui lui sont subordonnées.
Mais il ne suffit pas de présenter à l'intelligence ce motif élevé.
On se fait aisément illusion, tant notre intérieur est mobile et complexe.
Il arrive qu'on prétend agir par un motif de vertu, alors qu'on est poussé par une passion mauvaise.
D'où la nécessité de bien examiner son intention.
Nous devons en toutes rencontres examiner devant Dieu, quelle est notre intention et notre but, tant dans les choses qui doivent être exécutées promptement, que dans celles qui peuvent être différées. Car toutes les choses où nous agissons avec la pureté d'un coeur entièrement dégagé de toute passion et de tout intérêt, et que nous faisons véritablement et uniquement pour Dieu, et non pour quelqu'autre fin que ce puisse être, quoi qu'en elles-mêmes elles ne soient pas tout à fait saintes, Dieu ne laissera pas de nous en récompenser, comme les ayant faites saintement. (Clim., XXVI, 118. P. G., 88, 1060.)
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La forme et la règle que nous devons suivre dans toute notre conduite et toutes nos actions, soit dans celles que nous faisons par obéissance, ou dans celles que nous faisons par nous-mêmes, soit qu'elles soient extérieures et visibles, soit qu'elles soient intérieures et invisibles, est d'examiner si elles sont faites véritablement selon Dieu; comme par exemple, si lorsque ne faisant qu'entrer dans l'exercice de la vertu, et nous employant avec zèle à quelque ouvrage, nous ne recevons dans, l'âme. un nouvel accroissement d'humilité dans le mérite de cette action, nous pouvons conclure, ce me semble, que nous n'y avons pas agi selon Dieu, soit que l'action soit petite, ou qu'elle soit grande. Car pour les personnes qui commencent, c'est l'humilité qui est une marque certaine que leurs actions sont conformes à la volonté de Dieu; pour celles qui sont avancées, c'est possible la paix et la fin de toutes leurs guerres contre les démons et les passions; et pour celles qui sont parfaites, c'est un surcroît et une surabondance de la lumière divine. (Clim., XXVI, 90. P. G., 88, 1033.)
Cassien commente une parole du Maître qui ne se trouve pas dans le texte du Nouveau Testament mais qui est rapportée par plusieurs Peres : « Soyez d'habiles changeurs, dit saint Jérôme, de sorte que si un écu est faux, s'il n'est pas loyale monnaie courante, il soit jeté au rebut; mais la pièce de monnaie qui. à la pleine lumière, présente l'image du Christ, cachons-la dans la bourse de notre coeur1. »
Il faut donc avoir toujours dans l'esprit ces trois principes, et examiner avec un sage discernement toutes les pensées qui sortent de notre coeur; en découvrir la source et la cause ; et reconnaître de qui elles viennent, afin de nous conduire à leur dard selon le mérite de celui que nous aurons reconnu en être fauteur. C'est ainsi que selon la parole de Jésus-Christ nous deviendrons semblables à ces changeurs si habiles dans le discernement de l'or. Ils savent distinguer avec une adresse merveilleuse le plus pur d'avec celui qui a été mains épuré par le feu. Ils ne se laissent jamais éblouir d'une fausse pièce qui couvre un fond d'airain par une surface de bon or. Leur science leur fait discerner non seulement les monnaies qui sont marquées de l’image des tyrans ; mais celles mêmes qui portant le caractère du roi légitime, ont été contrefaites et falsifiées. Enfin lorsqu'ils ont éprouvé tout le reste, ils pressent encore la balance en main pour voir si elles sont de poids.
Toutes ces circonspections que ces personnes apportent, doivent comme Jésus-Christ nous l’ordonne en nous comparant à eux, nous servir de modèles peur notre conduite. Nous devons examiner d'abord si tout ce qui se glisse dans nos coeurs, ou si quelque dogme qu'on nous inspire, vient du Saint-Esprit, et s'il a été purifié de son feu céleste, s'il ne tient point encore de la superstition des Juifs, s'il ne vient point de la vanité des philosophes du monde quoiqu'il porte au dehors une image ou une apparence de piété. Ce que nous ferons, si nous pratiquons ce précepte de l'Apôtre : Ne croyez pas tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s'ils sont de Dieu.
Il faut en second lieu prendre garde, qu'un faux sens qu'on attache au plus pur or de l'Écriture, ne nous trompe par le prix de la matière à laquelle on l'attache. Le diable attaqua Jésus-Christ lui-même par cet artifice. Le croyant un simple homme, il tâche de le tromper en lui persuadant par une interprétation maligne que ce qui était dit en général de tous les justes se devait particulièrement appliquer à lui qui n'avait aucun besoin de tout le secours des anges. Dieu, lui dit-il, a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils vous porteront sur leurs mains de peur que votre pied ne heurte contre la pierre. C'est ainsi que ce séducteur artificieux corrompt les Écritures, et qu'il leur donne une explication adroite, afin de nous éblouir par l'éclat d'un or brillant, mais qui ne porte que l'image d'un usurpateur. C'est encore son dessein lorsqu'il tâche de nous surprendre en nous donnant de fausses pièces de monnaie, c'est-à-dire lorsqu'il nous porte à des exercices de piété que nos supérieurs ne reconnaissent point, et qui n'ont jamais eu de cours, pour dire ainsi dans la conduite dont se sont servi nos sages prédécesseurs. Il nous cache adroitement la fin malheureuse qu'il a dans ce qu'il nous inspire. Il nous propose la vertu pour nous faire tomber dans le vice, il nous pousse à des jeûnes excessifs et à contre-temps, il nous fait rechercher des veilles démesurées, faire de longues prières en des temps incommodes, aimer la lecture lorsqu'il faut faire autre chose; il nous porte à des voyages de dévotion et à des visites de charité, dans l'unique vue de nous faire sortir du secret de notre monastère et du repos de notre solitude. (Coll., I, 20. P. L., 49, 510.)
saint Jérôme, épit. 152 ad Numerium. ↩
