V. 9
« L'homme n'a point de puissance sur son esprit; il n'est pas en son pouvoir d'empêcher que l'âme ne quitte le corps au jour de la mort. Il ne peut avoir de quartier dans cette guerre , et l'impiété ne saurait sauver l'impie. » Il n'est pas en notre pouvoir d'empêcher que Dieu ne nous ravisse notre âme quand il lui commande de sortir du corps. On a beau fermer la bouche pour retenir l'esprit et se conserver la vie : dès que la mort, l'ennemi impitoyable de notre vie, se présente de la part de notre Créateur, nous ne pouvons espérer aucune trêve ni demander quartier. Les rois même les plus puissants et les impies qui ont tout ravagé sur la terre ne pourront aller au-devant de la mort pour l'arrêter et lui résister. Ils seront réduits en poudre et en terre comme tous les autres. Il ne faut donc pas pleurer ni s'affliger si fort de ce que nous ignorons l'avenir, ni de nous voir dans l'oppression par l'injustice des hommes plus puissants que nous, puisque la mort mettra bientôt fin à toutes nos misères, et que d'ailleurs nous sommes certains que les orgueilleux et les puissants ne sauraient délivrer leurs âmes de la main de la justice de Dieu, qui leur fera rendre compte de tout le mal qu'ils auront fait.
V. 10, 11, etc. « J'ai considéré toutes ces choses, et j'ai appliqué mon cœur à faire le discernement de tout ce qui se fait sous le soleil. J'ai vu des hommes qui étaient au-dessus des autres, et qui ne leur commandaient que pour les affliger; j'ai vu encore des impies ensevelis qui se présentaient à mon esprit comme s'ils sortaient du lieu saint, qui étaient loués dans la cité comme si leurs oeuvres eussent été justes ; mais cela même est une vanité; car comme la sentence ne se prononce pas sitôt contre les méchants, cela est cause que le coeur des enfants des hommes se remplit de malignité, et qu'ils font le mal sans aucune crainte. » Je me suis appliqué, dit-il, à considérer tout ce qui se fait sous le soleil, et particulièrement la domination que les hommes exercent les uns sur les autres; en sorte que celui qui est le maître afflige ceux que bon lui semble et les condamne comme il lui plait. Pendant que j'étais attentif à ces choses, j'ai vu les impies, morts et ensevelis, dans une si bonne réputation qu'ils passaient pour des saints sur la terre, et qui, pendant leur vie, avaient été jugés dignes d'être des premiers dans l'Église et dans le temple de Dieu. Ces hommes si vains et si pleins de faste étaient applaudis dans les crimes qu'ils commettaient impunément. Aussi lisons-nous ailleurs dans l'Écriture : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et celui qui fait mal reçoit des bénédictions. » Mais tout cela n'arrive que parce que personne n'ose contredire ceux qui pèchent, et que Dieu ne punit pas sur le moment les crimes des hommes ; car il est de sa miséricorde de différer la peine et le châtiment pour les attendre à faire pénitence. Sed differt poenant dùm expectat pœnitentiam. Les pécheurs, au contraire, abusent de cette patience toute divine, et se flattant, sur le terme que Dieu leur donne, qu'il n'y aura point de jugement pour eux, ils en prennent occasion de persévérer dans leurs crimes.
Nous pouvons nous servir de ce passage contre les évêques qui, ayant été revêtus de dignités et de puissance dans l'Église, deviennent un sujet de scandale à leurs peuples, qu'ils devraient plutôt instruire et porter à la vertu et à la perfection. Ces prélats, tels qu'ils sont, ne laissent pas d'être souvent loués dans l' Église après leur mort, jusque-là même qu'ils sont béatifiés publiquement, ou par leurs successeurs ou par les peuples, pour des choses qui ne leur ont acquis aucun mérite. Cela même est donc une vanité, parce qu'ils ne passent pas pour ce qu'ils ont été en effet, et qu'ils n'ont pas été corrigés d'abord selon leurs péchés (car personne ne prend la liberté d accuser ceux qui sont plus grands que lui). C'est ce qui fait qu'on les regarde comme des saints et des bienheureux et comme des observateurs fort religieux de la loi du Seigneur, pendant qu’eux-mêmes accumulent péchés sur péchés. Il est difficile et dangereux d'accuser un évêque, car s'il vient à tomber dans le péché on ne veut pas le croire , et s'il est convaincu de quelque crime il n'en est point puni. Difficilis est accusatio in episcopum; si enim peccaverit non creditur, et si convictus fuerit non punitur.
