2.
[5] Le monde intelligible préexistant à l'autre, et chacune des puissances angéliques ayant reçu en partage, de l'autorité qui dirige toutes choses, une certaine activité pour l'organisation de l'univers, c'était aussi une de ces puissances qui avait été chargée de maintenir et de gouverner la sphère terrestre, ensuite avait été formée avec la terre une figure qui reproduisait la puissance suprême, et cet être était l'homme. En lui résidait la beauté divine de la nature intelligible, mêlée à une certaine force secrète. Voilà pourquoi celui qui avait reçu en partage le gouvernement de la terre trouve étrange et intolérable que, de la nature placée sous sa dépendance, sorte et se manifeste une substance faite à l'image de la dignité souveraine.
[6] Quant à la question de savoir comment a pu tomber dans la passion de l'envie celui qui n'avait été créé en vue d'aucune fin mauvaise par la puissance qui a organisé selon le bien l'univers, il n'entre pas dans l'objet du présent ouvrage de la traiter en détail, mais il est possible d'en exposer l'enseignement, même en quelques mots, aux esprits un peu dociles. On ne conçoit pas en effet l'opposition de la vertu et du vice comme celle de deux choses se manifestant en substance ; mais de même que le néant s'oppose à l'être, sans qu'on puisse qualifier de substantielle l'opposition du néant et de l'être, car nous disons au contraire que la non-existence s'oppose à l'existence, de même aussi le vice s'oppose à l'idée de la vertu. Il n'existe point en lui-même, mais il est conçu comme résultant de l'absence du bien. Nous disons que la cécité s'oppose à la vue, non que la cécité existe naturellement par elle-même : la possession précède la privation ; de même aussi le vice se conçoit, disons-nous, dans la privation du bien, à la façon d'une ombre dont le progrès suit le recul de la lumière.
[7] Or, la nature incréée n'admet pas le mouvement dans le sens d'un changement, d'une transformation, d'une altération, et tout ce qui existe au contraire par l'effet de la création a une tendance naturelle au changement, puisque l'existence même de la création est partie du changement qui, en vertu de la puissance divine, a substitué l'être au néant. Or il faut ranger aussi dans la création la puissance dont nous avons parlé, qui choisit par un mouvement de sa libre volonté ce qui lui paraît bon ; quand celui-là eût fermé les regards au bien et connu l'envie, à la façon de l'homme qui abaissant en plein soleil ses paupières sur ses yeux, voit de l'obscurité, il en arriva lui aussi à concevoir le contraire du bien, pour n'avoir pas voulu tourner sa pensée vers le bien. Et c'est là l'envie.
[8] Il est reconnu que le point de départ de tout fait détermine les conséquences qui en sont la suite. Par exemple, la santé a pour conséquences la vigueur physique, l'activité, le plaisir de la vie, tandis que la maladie entraîne la faiblesse, l'inertie, le dégoût de l'existence. Ainsi, en toutes choses, la série des conséquences s'enchaîne au point de départ qui lui est propre. De même, par conséquent, que l'absence des passions est le principe et la condition d'une vie conforme à la vertu, de même; le penchant au vice produit par l'envie ouvre la voie à tous les maux qui se manifestent à sa suite.
