1.
Mais on s'indigne, en tout cas, quand on tourne les yeux vers la dissolution du corps ; on admet difficilement que notre existence prenne fin avec la mort, et; on représente comme le pire des maux que notre vie s'éteigne dans la condition du cadavre. Que l'on considère donc, dans cette triste nécessité, l'excès de la bienfaisance divine, et peut-être ainsi sera-t-on amené plutôt à admirer la faveur qui se manifeste dans la sollicitude de Dieu pour l'homme. [2] C'est la jouissance des plaisirs qui attache à l'existence ceux qui participent à la vie. Car celui dont l'existence se passe au milieu des peines juge, dans ces conditions, qu'il vaut beaucoup mieux ne pas être que d'être en proie à la souffrance. Examinons donc si l'organisateur de cette vie a eu un autre but que de nous faire vivre dans les conditions les meilleures.
[3] Par un libre mouvement de notre volonté, nous avions contracté la participation au mal, en Taisant entrer le mal dans notre nature, à la faveur d'un sentiment de plaisir, comme un poison assaisonné de miel ; et étant déchus, pour cette faute, de la félicité que nous concevons dans l'absence de passions, nous avions élé transformés par ce mouvement vers le mal. Voilà pourquoi l'homme retourne à la terre en se décomposant, à la façon d'un vase de terre cuite, pour qu'une fois débarrassé de l'impureté qu'il renferme actuellement, il soit restauré par la résurrection dans sa forme primitive.
[4] C'est une doctrine toute semblable que Moïse nous expose à la manière d'un historien et sous le voile d'allégories. D'ailleurs ces allégories elles-mêmes contiennent un enseignement très clair. Quand les premiers hommes se laissèrent entraîner à ce qui était défendu, et furent dépouillés de cette félicité bénie, dit Moïse, le Seigneur donna des vêtements de peau aux premiers hommes créés. Selon moi, ce n'est pas à des peaux de cette nature que se rapporte le sens véritable du récit. De quelle espèce, en effet, sont les animaux qui, une fois égorgés et dépouillés, fournissent le vêtement ainsi imaginé ? Mais étant donné que toute peau séparée de l'animal est chose morte, je suis absolument persuadé quenelle condition mortelle, jusque là réservée à la nature privée de raison, fut désormais appliquée aux hommes, dans une pensée de sollicitude prévoyante, par le médecin qui soignait notre disposition au mal, sans être destinée par lui à subsister éternellement. En effet, le vêtement rentre dans les choses qui nous sont appliquées au dehors, et qui à l'occasion offrent leur utilité à notre corps, sans être inhérentes à sa nature.
[5] La condition mortelle a donc été, en vertu d'un plan approprié, empruntée à la nature des êtres privés de raison, pour revêtir la nature qui avait été créée en vue de l'immortalité ; elle en enveloppe l'extérieur, non l'intérieur; elle intercepte la partie sensible de l'homme, mais ne touche pas a l'image divine elle-même. Or la partie sensible se dissout, mais n'est pas détruite, car la destruction est le passage au néant, tandis que la dissolution est le retour de cette partie aux éléments du monde, dont elle était formée, et sa dispersion. Ce qui se trouve en cet état n'a pas péri, bien qu'échappant à notre perception sensible.
