1.
Et que personne ne demande si Dieu prévoyait ce malheur que l'humanité devait s'attirer par son imprudence, quand il se détermina à créer l'homme, pour lequel il eût été peut-être plus avantageux de ne pas être que d'être en proie aux maux. C'est là en effet ce que font valoir pour établir leur erreur ceux qui se sont laissé séduire par tromperie aux doctrines manichéennes, quand ils s'appuient là-dessus pour déclarer que le créateur de la nature humaine était mauvais. Si Dieu en effet n'ignore rien de ce qui est, et si l'homme est plongé dans les maux, il devient impossible de garder intacte la doctrine de la bonté de Dieu, puisqu'il aurait appelé à l'existence l'homme destiné à vivre dans les maux. Car si l'activité dans le bien caractérise absolument une nature bonne, cette vie misérable et mortelle ne saurait plus, dit le manichéen, être regardée comme l'ouvrage du bien, mais il faut attribuer à une vie de ce genre une cause différente, naturellement portée au mal,
[2] Tous ces arguments et d'autres du même genre ont, à première vue, un caractère spécieux qui leur prêle une certaine force, aux yeux des hommes profondément imbus de la supercherie hérétique comme d'une teinture indélébile ; mais les esprits doués d'une vue plus pénétrante de la vérité aperçoivent clairement la mauvaise qualité de ces arguments, et les moyens qu'ils mettent à notre portée d'en démontrer la supercherie. Il est bon aussi, ce me semble, d'invoquer sur ce point l'Apôtre lui-même, à l'appui de l'accusation que nous portons contre eux. Il distingue en effet, dans son discours aux Corinthiens, les âmes de condition charnelle et les âmes de condition spirituelle, montrant, à mon avis, par ces paroles, que ce n'est pas au moyen de la sensation qu'il convient de juger le bien ou le mal, mais qu'il faut dégager son esprit des phénomènes corporels pour distinguer, dans leurs caractères propres, la nature du bien et celle du mal. « L'homme spirituel, dit-il en effet, juge de tout. »
[3] Voici, selon moi, ce qui a fait naître dans l'esprit de ceux qui émettent de semblables idées, ces doctrines fantaisistes : ils définissent le bien d'après le plaisir de la jouissance corporelle ; comme la nature du corps est nécessairement soumise aux accidents et aux infirmités, puisqu'elle est composée et entraînée vers la dissolution, et que des accidents de ce genre s'accompagnent, dans une certaine mesure, d'une sensation douloureuse, ils pensent que la création de l'homme est l'œuvre d'un Dieu méchant.
