III.
D'après ces témoignages, nous voyons donc que dans le système physique, les philosophes sont honteusement réduits à diviniser les éléments, puisqu'ils en font naître des dieux, qui assurément ne peuvent avoir que des dieux pour pères. C'est ce que nous examinerons avec plus d'étendue quand il s'agira du système mythique des poètes. En attendant, il faut démontrer ce qui touche à la question présente, c'est-à-dire que les êtres qui sont nés des éléments ne peuvent, en quoi que ce soit, passer pour des dieux, afin que l'on soit plus disposé à admettre que les éléments ne sont pas des dieux, lorsqu'il sera prouvé que les êtres nés des éléments ne peuvent aspirer à ce titre. De même, démontrer que des éléments qui eux-mêmes ont commencé ne sont pas des dieux, ce sera conclure contre la divinité de leurs descendants, puisque les fils de pères auxquels manque la divinité, ne peuvent être des dieux.
On admet le principe que d'un dieu doit naître un dieu, de même que de ce qui n'est pas dieu il ne doit naître rien de divin. Or, pour traiter sommairement cette matière, le monde se compose d'éléments. Le tout doit être de même nature que ses parties, et les parties de même nature que le tout. Il faut en outre qu'il ait été créé par quelqu'un, comme le veut la sagesse de Platon, ou qu'il n'ait été créé par personne, comme le pense cet absurde Épicure. S'il a été créé, dès qu'il a un commencement, il aura aussi une fin. D'où il suit que ce qui un jour n'existait point avant de commencer, un jour n'existera plus quand il aura fini. Mais, dès ce moment, je ne conçois plus un dieu auquel manque la substance même de la divinité, je veux dire l'éternité, qui n'a ni commencement ni fin. S'il est vrai, au contraire, qu'il n'ait pas commencé, et qu'il faille le regarder comme Dieu, par la raison qu'en sa qualité de Dieu il n'admet ni commencement ni fin, comment se fait-il que plusieurs assignent une génération à ces éléments qu'ils convertissent en dieux, puisque les Stoïciens nient qu'un dieu puisse engendrer? De même, comment appeler dieux ceux qui sont nés des éléments, puisque ces mêmes philosophes démontrent qu'un dieu ne peut naître? Or, ce qui est vrai du monde entier sera vrai aussi de ses éléments, c'est-à-dire du ciel, de la terre, des astres et du feu. Vainement donc Varron, qui avait dit ailleurs que le ciel et les astres sont des êtres animés, nous propose de regarder tous ces éléments comme des dieux ou comme les pères des dieux, qui ne peuvent avoir ni ancêtres ni postérité, puisqu'ils ne peuvent engendrer. S'il en est ainsi, il faut nécessairement qu'ils soient mortels, car la mort est la condition de la vie animale. L'âme est immortelle, oui, sans doute, mais c'est à elle qu'appartient l'immortalité, et non au corps qui lui est associé. Or, que le corps soit sujet à la mort, personne ne le niera, puisque nous touchons certains corps, puisque nous sommes touchés par d'autres, et que tous les jours ils disparaissent sous nos yeux. Si donc les animaux, en laissant de côté le principe de l'âme, sont mortels en tant qu'ils sont corps, il s'ensuit que les éléments ne sont pas des dieux. D'où vient cependant que Varron transforme les éléments en dieux? Parce qu'ils se meuvent, répond-il. Mais, de peur qu'on ne lui objecte sur-le-champ que mille autres choses se meuvent aussi, telles que les roues, les chars, les machines, il prévient son antagoniste en disant qu'il les regarde comme des êtres inanimés, parce qu'ils sont à eux-mêmes le principe de leur mouvement, sans recevoir l'impulsion du dehors, comme il en est de celui qui pousse une roue, traîne un char, ou modère l'activité d'une machine. Ainsi, à moins d'être des animaux, ils ne peuvent se mouvoir par eux-mêmes. Or, en indiquant ce moteur invisible, il nous montre précisément ce qu'il aurait dû chercher, c'est-à-dire le créateur et l'arbitre de ce mouvement. Vous ne le voyez pas; mais s'ensuit-il nécessairement qu'il n'existe pas? Non, sans doute. Plus une chose est profondément cachée, plus elle réclame nos sérieuses investigations pour que nous puissions en pénétrer le mystère dans ce qui paraît. Mais d'ailleurs, si vous ne voulez admettre que ce qui est visible, pourquoi donc admettez-vous cette multitude de dieux que vous ne voyez pas? Si tant de choses paraissent exister, sans exister réellement, pourquoi, par opposition, n'y aurait-il pas aussi des êtres que nous ne voyons pas? Je veux parler du moteur universel des choses célestes. Que vos éléments soient des êtres animés, parce qu'ils se meuvent par eux-mêmes, et qu'ils se meuvent par eux-mêmes, parce qu'ils ne se meuvent pas par d'autres, d'accord; cependant, ils ne sont pas des dieux par la raison qu'ils sont des êtres animés, ou qu'ils se meuvent par eux-mêmes. Autrement, qui empêche que nous ne voyons autant de dieux dans tous les animaux, puisqu'ils se meuvent par eux-mêmes? Il faut laisser aux Égyptiens de pareilles extravagances.
