II.
Mais on regarde les philosophes comme les maîtres de la sagesse. Pure et légitime sagesse, en vérité, que celle qui montre pour premier témoignage de sa faiblesse la variété de ses mille opinions, qui a sa source dans l'ignorance de la vérité. Quel est donc le sage, s'il est étranger à la vérité et s'il ignore Dieu, qui est tout à la fois le père et le maître de la sagesse comme de la vérité? D'ailleurs nous avons pour nous cet oracle divin de Salomon: « La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. » Or, pour craindre il faut connaître; car, comment sera-t-il possible de craindre si l'on ne connaît pas? Conséquemment, quiconque craindra Dieu, acquérant par là même la connaissance et la vérité de toutes choses, possédera la plénitude et la consommation de la sagesse. Voilà ce que n'a pas vu clairement la philosophie. Ils ont beau compulser tous les monuments littéraires, et interroger nos Écritures sacrées elles-mêmes, où ils ont puisé plus d'une fois, parce qu'elles sont plus anciennes, s'inquiétant peu de la vérité pure et sans mélange, ils n'ont pensé qu'à s'approprier ces richesses en les défigurant, entraînés les uns par la passion de la vaine gloire, les autres par l'incertitude de leurs pensées. De toutes ces mutilations, qu'est-il résulté? Ce qu'ils avaient découvert est devenu incertain. Puis arriva un déluge d'argumentations et de subtilités sous lesquelles la vérité fut comme submergée. Ils la découvrirent, d'accord; mais loin de l'exposer telle qu'ils la découvrirent, ils se sont mis à disputer sur sa qualité, sur sa nature et jusque sur son domicile.
En effet, les Platoniciens croient que Dieu a soin de tout, maître et juge du monde. Les Épicuriens en ont fait un être oisif, sans activité, immobile, ou plutôt ils l'ont anéanti. Les Stoïciens le supposent hors du monde, les Platoniciens le placent au centre du monde. Le Dieu qu'ils n'avaient admis qu'imparfaitement, ils n'ont pu ni le connaître ni le craindre, ni par conséquent marcher dans les voies de la sagesse, puisqu'ils se sont éloignés du commencement de la sagesse, qui est la crainte de Dieu. Il nous reste plus d'un témoignage de leur ignorance ou de leur doute. On demandait à Diogène ce qui se passait dans le ciel. « Je n'y suis jamais monté, répondit-il. ---- Y a-t-il des dieux, lui demandait-on encore? ---- Tout ce que je sais, répliqua-t-il, c'est qu'il serait expédient qu'il y en eût. » Lorsque Crésus interrogea Thalès de Milet sur ce qu'il pensait des dieux, ce dernier, après avoir pris du temps pour réfléchir, finit par ne donner aucune réponse. Socrate paraissait à peu près convaincu quand il niait l'existence de tous ces dieux; mais le même Socrate paraissait à peu près aussi convaincu quand il recommandait d'immoler un coq à Esculape.
Ainsi, puisque la philosophie est convaincue de tant d'incertitude et d'impuissance quand il s'agit de concevoir la divinité, pourquoi m'étonner qu'elle ait débité tant d'extravagances sur celui qu'il ne lui était pas donné de connaître parfaitement? Elle n'est pas plus d'accord avec elle-même sur le monde. . . . . . Denis le stoïcien divise les dieux en trois classes: dans la première, il place les divinités que l'on voit, telles que le Soleil, la Lune; dans la seconde, celles que l'on ne voit pas, telles que Neptune; dans la troisième, enfin, celles qui, dit-on, ont été hommes avant de devenir dieux, telles qu'Hercule et Amphiaraüs. Arcésilas distingue aussi les dieux en trois catégories, les Olympiens, les Astres, les Titaniens. Il ajoute qu'ils sont nés du Ciel et de la Terre. Saturne et Ops, sa femme, ont engendré Neptune, Jupiter, Orcus, et toute leur postérité. Xénocrate, de la secte des académiciens, ne reconnaît que deux espèces de dieux, les Olympiens et les Titaniens, qui descendent tous du Ciel et de la Terre. La plupart des Égyptiens adorent quatre dieux, le Soleil, la Lune, le Ciel et la Terre. Démocrite pense que les dieux naquirent en même temps que le feu supérieur. Zénon veut qu'ils soient de même nature. De là vient que Varron appelle le feu l'âme du monde, de sorte que, selon lui, le feu gouverne tous les mouvements du monde, de même que l'âme préside chez nous à tous nos mouvements. Quoi de plus extravagant! Tant que l'âme réside en nous, dit-il, nous existons; aussitôt qu'elle nous abandonne, nous mourons. Il en va ainsi du feu aussitôt qu'il se sera échappé du monde en éclairs, le monde périra.
