XIV.
Mais puisque vous prétendez que d'autres hommes ont été transformés en dieux pour des motifs particuliers, et qu'il faut distinguer, d'après Denys le Stoïcien, entre ceux qui sont nés dieux et ceux qui le sont devenus, je dirai un mot de ces derniers. Commençons par Hercule. . . . . . Montrez-moi par quelles vertus il mérita le ciel et la divinité, puisque c'est à ses mérites que vous en faites honneur. Est-ce pour avoir dompté les monstres? Mais qu'y a-t-il là de si merveilleux? Combien de coupables, condamnés à lutter dans l'arène contre les bêtes féroces, en ont immolé en une fois un plus grand nombre et avec plus d'habileté? Est-ce pour avoir parcouru l'univers? Mais combien de riches et de philosophes l'ont parcouru, les uns à l'aide de leur opulence, les autres par l'assistance même de la mendicité? Oubliez-vous donc qu'Asclépiade le Cynique triompha de l'univers tout entier par les yeux, en le parcourant sur une misérable vache dont le dos servait à le transporter et les mamelles à le nourrir? Est-ce parce qu'il s'est frayé un chemin jusqu'aux enfers? Mais combien avant et après lui n'y sont-ils pas descendus?. . . . . . Si ce Pompée, qui ne laissa pas même un chétif agneau dans Byrsa. . . . . . A plus forte raison encore Scipion mériterait-il la préférence sur Hercule. . . . . . Inscrivez plutôt à la gloire d'Hercule son épouse qu'il abandonne, Omphale qu'il séduit, le jeune Iolas qu'il immole, et l'expédition des Argonautes qu'il trahit. Après tant d'infamies, ajoutez ses fureurs, ajoutez les flèches qui ont percé les fils, les épouses. Qui était plus digne de monter sur le bûcher, que ce demi-dieu qui, enveloppé dans sa tunique empoisonnée, présent que lui envoyait une épouse trahie, mourait par peur plutôt que d'une mort glorieuse?. . . . . . Portez-le du haut de son bûcher jusqu'au ciel, comme vous l'avez fait pour cet autre héros, que frappa la foudre, et qui, à l'aide de quelques ruses, fit courir le bruit qu'il avait rappelé des morts à la vie, petit-fils de Jupiter, arrière-petit-fils de Saturne, tant il est vrai qu'il était homme, d'autant plus impur, qu'il naquit d'un père incertain. Socrate d'Argos affirme qu'il fut trouvé par un passant. Sa nourrice fut plus hideuse encore que celle de Jupiter; la mamelle d'une chienne l'allaita. Au reste, qu'il ait péri frappé par la foudre, personne ne le contestera. Si c'est par la foudre de Jupiter, Jupiter est coupable de barbarie pour avoir tué son propre fils, ou d'envie pour avoir fait périr un artiste si expérimenté. Toutefois, Pindare ne cache pas que cet Esculape exerçait la médecine avec une avarice criminelle, et que, trafiquant indignement de son art, il précipitait les vivants aux enfers, au lieu de ramener les morts à la vie. On dit que sa mère mourut du même coup que lui. Il était juste que celle qui avait enfanté un monstre montât au ciel par les mêmes degrés que lui. Les Athéniens ne laissent pas d'honorer de pareils dieux. Au nombre des morts auxquels ils offrent des sacrifices, il faut compter Esculape et sa mère. Pourquoi pas, s'ils adorent leur Thésée? misérable dieu. . . . . qui abandonna sur un rivage étranger celle qui lui avait sauvé la vie, aussi oublieux, ou plutôt frappé de cette même démence qui avait amené la mort de son père!
