XIII.
En voilà assez sur le compte de Saturne et de sa postérité. Il est bien démontré que ce furent des hommes. Nous avons entre les mains une preuve abrégée, et qui sert de prescription contre l'origine des autres, sans avoir besoin de nous perdre dans les détails particuliers à chacun. Tels pères, tels fils; des mortels n'engendrent que des mortels; ce qui est de la terre n'enfante que ce qui est de la terre; un degré sert de degré à un autre; mariage, conception, naissance; on connaît leur patrie, leurs règnes, leurs monuments. . . . . .Vous ne pouvez nier qu'ils aient reçu la naissance, croyez donc également qu'ils sont morts. Du moment que vous reconnaissez qu'ils sont morts, cessez de les reconnaître pour dieux. La force de la nature vous oblige de confesser que ceux qui n'ont pas toujours été des dieux, n'ont pu conquérir la divinité, comme l'ont rêvé un jour Varron et ses partisans.
Je m'arrête donc ici. . . . . En supposant même qu'ils aient été faits dieux après leur mort, et qu'ils soient entrés dans l'Olympe, à peu près comme se recrute votre sénat. . . . . , il faut que vous admettiez un dieu suprême qui ait la faculté de les choisir, et soit comme leur César à tous. Car personne ne peut communiquer à qui que ce soit la puissance, s'il n'en est pas investi lui-même. . . . . . D'ailleurs, s'ils ont pu se transformer eux-mêmes en dieux après leur mort, pourquoi ont-ils voulu commencer par une condition inférieure? ou s'il n'y a personne qui ait pu les faire dieux, comment soutenir qu'ils ont été divinisés, puisqu'ils n'ont pu l'être que par un autre? Conséquemment il vous est impossible de nier qu'il existe un Dieu qui possède en propre la divinité.
Examinons donc pour quelles raisons il aurait pu investir de la divinité un être mortel. Vous ne pourrez, si je ne me trompe, en assigner que deux. . . . . . Ou ce Dieu suprême a choisi des dieux parmi les hommes pour servir d'auxiliaires à sa puissance ou d'ornement à son trône. En second lieu, il n'a pu que consulter les mérites, afin de faire tomber son choix sur les plus dignes. Il vous est impossible d'alléguer d'autres motifs. Personne. . . . . qui, en songeant à autrui, ne cherche ses propres intérêts, et agisse uniquement pour l'étranger. . . . . . On ne peut le demander à la divinité. . . . . . Ou si on la fait assez faible pour avoir besoin de l'assistance de quelqu'un, et surtout d'un mort, il n'en est que plus étonnant qu'elle ait eu assez de puissance pour créer des immortels. . . . . . Quiconque sait la distance qui sépare les choses divines d'avec les choses humaines, ne s'arrêtera pas longtemps là-dessus. . . . . .
Reste la question des mérites, qu'il vaut mieux discuter. . . . . . Il ne sera pas difficile de se convaincre qu'aucun de ces hommes divinisés ne méritait cet honneur. . . . . . Pour commencer par Saturne, quels sont ses titres à la divinité? L'inceste, puisque vous reconnaissez que Saturne et Ops étaient frère et soeur. Jupiter ne vaut pas mieux. Enfant dérobé à son père, je trouve en lui trois choses qui répugnent à un dieu: le toit qu'il occupe, la nourrice qui l'allaite, et sa cruauté personnelle. Aussitôt qu'il est adulte, il immole son père, quel qu'il fût, roi pacifique qui donnait à l'univers le siècle d'or, sous lequel on ne connaissait ni travail ni indigence; sous lequel les laboureurs n'étaient pas contraints d'ensemencer la terre, parce qu'elle donnait tout sans qu'on lui demandât rien. . . . . .
Mais, dira-t-on, il haïssait un père dénaturé qui avait mutilé le sien. . . . . . Fort bien! Mais voilà que Jupiter lui-même épouse sa soeur, si bien que c'est pour lui sans doute qu'a été fait-ce proverbe grec: Digne fils de son père. Tel père, tel fils. Si les lois eussent été en vigueur alors, Jupiter aurait été cousu dans deux sacs. . . . . . Une fois souillé par l'inceste, pouvait -il reculer devant des voluptés moins honteuses? Aussi la poésie a-t-elle fait un jeu de ses infamies. Nous le voyons, après avoir déserté le ciel, tantôt, métamorphosé en taureau, enlever une jeune vierge; tantôt descendre en pluie d'or pour corrompre les gardiens d'une tour; tantôt adultère sous les plumes d'un cygne. . . . . . Il n'a rien à envier aux débauches de l'homme. Même nature, mêmes moeurs. Mais combien est au-dessous des mortels le dieu qui n'est pas meilleur qu'eux! Vous lui donnez le nom de Jupiter très-bon. Virgile l'a mieux désigné, quand il a dit: Le très-bon Jupiter est égal à tous1. Il a été incestueux envers les siens, impudique envers des étrangers, impie, injuste. . . . . . Point d'infamie qui ne l'ait rendu tristement célèbre. . . . . . Donc il n'a point mérité de devenir dieu.
Jeu de mot fondé sur la double signification de aequus, juste ou égal. ↩
