I.
Maintenant, ô Nations, bien dignes de pitié, notre justification demande que nous nous mesurions avec vous, et que nous en appelions à votre conscience pour savoir si vos idoles sont des dieux véritables, comme vous l'affirmez, ou des dieux chimériques, comme vous ne voulez pas le savoir. Car telle est l'opiniâtreté naturelle à l'erreur, grâce au père du mensonge, que ceux qu'elle aveugle ne veulent pas en sortir, et par là se rendent plus coupables. Ils ont des yeux, et ils ne voient pas; ils ont des oreilles, et ils n'entendent pas; leur coeur, quoiqu'il batte, est insensible; leur esprit ne reconnaît pas ce qu'il voit. En un mot, si l'on voulait, par une simple fin de non recevoir, écarter tous ces dieux menteurs, il suffirait de prononcer qu'ils ont tous été inventés ou établis par les hommes, qu'ils n'existent pas par eux-mêmes. . . . . conséquemment que cette condition est incompatible avec l'idée que l'on doit se former d'une divinité véritable. Il n'y a que ce qui n'a jamais commencé que l'on puisse à bon droit regarder comme un Dieu. Mais, hélas! que de préjugés endurcissent la délicatesse de la conscience dans la stupeur d'une erreur volontaire! La vérité est attaquée par une main immense; toutefois elle a confiance dans sa force. Et pourquoi non? Elle sait, quand il lui convient, transformer en auxiliaires ses ennemis eux-mêmes, et elle courbe à ses pieds cette multitude de persécuteurs.
C'est contre tous ces préjugés que nous avons à lutter, contre les institutions, les ancêtres, l'autorité de la chose reçue, les lois des gouvernants, les raisonnements des sages; contre l'antiquité, la coutume, la nécessité; contre les exemples, les prodiges, les miracles, dont le secours a fortifié toutes ces divinités adultères. Voulant donc m'appuyer sur les commentaires que vous avez empruntés aux théologies de toute nature, parce que dans ces matières la littérature a chez vous plus de poids que la nature des choses, j'ai choisi pour point de départ les ouvrages de Varron, qui ayant soigneusement compilé et interprété tout ce qui a été dit avant lui sur vos dieux, sera pour nous un excellent guide. Si je lui demande qui a introduit les dieux, il me répond aussitôt que ce sont les philosophes, les peuples ou les poètes. Voilà donc les dieux divisés par lui en trois classes: les dieux physiques ou naturels, qui doivent leur existence aux philosophes; les dieux allégoriques ou mythiques, éclos dans le cerveau des poètes; enfin les dieux nationaux, que les différents peuples ont adoptés. Ainsi puisque les philosophes déifièrent leurs vagues conjectures, tandis que de leur côté les poètes empruntaient à la fable leurs dieux mythiques et que les peuples s'en forgeaient d'autres au gré de leurs caprices, où faudra-t-il chercher la vérité? dans les conjectures? mais qui dit conjecture, dit incertitude. Dans la fable? mais ce n'est qu'un tissu d'absurdités. Dans l'adoption populaire? Mais une divinité adoptée n'est qu'une divinité passive, sans compter qu'elle est municipale. En un mot, les philosophes ne sauraient nous guider, parce qu'il n'y a chez eux qu'incertitude et désaccord; les poètes en sont indignes, parce qu'ils ne marchent qu'à travers l'infamie; quant aux peuples, tout y est passif, parce que tout y est le fruit du caprice. Or, l'essence de la divinité, quand on l'étudie à fond, c'est de n'être ni appuyée sur des conjectures incertaines, ni souillée par des fables honteuses, ni déterminée par des adoptions passives. Il faut la concevoir telle qu'elle est réellement, certaine, entière, universelle, parce qu'elle est commune à tous. Mais d'ailleurs, comment croirai-je à un Dieu, parce que le jugement l'a soupçonné, parce que l'histoire l'a divulgué, ou parce que telle ou telle cité l'a choisi? Il est plus raisonnable de ne croire à rien que d'avoir un dieu conjectural, un dieu dont j'aie à rougir, ou un dieu consacré par l'adoption.
