IV.
Il en est qui prétendent que les dieux ont été appelés de ce nom, dérivé du grec Θέος parce que Θέεῖν et σειεζθαι signifient courir ou se mouvoir. Assurément ce terme n'indique pas la majesté. La course et le mouvement ne semblent pas l'attribut caractéristique de la divinité. Mais comme le Dieu unique que nous adorons s'appelle aussi Θέος, sans que cependant nous le voyions s'agiter et se mouvoir, puisqu'il n'est pas visible aux regards de l'homme, il est clair que cette dénomination lui est propre et essentielle, et que tous vos dieux n'ont été appelés Θέοι, que par imitation et par empiétement sur les droits du Dieu véritable; mais non à cause de leur course et de leur agilité. Tous les dieux que vous vous forgez tous les jours reçoivent la même désignation. Qu'il en soit ainsi, la preuve en est là. N'appelez-vous pas du nom générique de Θέοι, tous les dieux dans lesquels on n'aperçoit ni course ni mouvement? Par conséquent, si vous qualifiez du même nom vos dieux les plus immobiles, vous démentez tout à la fois et l'étymologie de ce mot, et l'opinion qui rattache la divinité à l'idée première de mouvement et de course.
Si, d'autre part, ce nom est la qualification du Dieu véritable, sa qualification propre, légitime, et non dérivée, montrez-nous qu'entre lui et les êtres que vous transformez en dieux, toutes les qualités sont communes, afin que de la communauté de la substance résulte la communauté du nom. Or, ce Θέος par excellence, par la raison seule qu'il est invisible, exclut toute comparaison avec des dieux qui tombent sous nos sens. Le sens naturel suffit pour distinguer ce qui est invisible d'avec ce qui est visible. Si les éléments sont aperçus de tous; si, au contraire, Dieu n'est visible à personne, comment pourras-tu assimiler à ce que tu vois l'être que tu ne vois pas? Puisque tu ne peux les assimiler ni par les sens, ni par la raison, pourquoi les confonds-tu dans une désignation commune, pour les confondre ensuite dans une même puissance? Voilà, en effet, que Zénon sépare de Dieu la matière du monde; ou du moins il affirme qu'il a passé par elle comme le miel par les rayons. Dieu et la matière sont donc deux mots, deux choses. La différence des termes indique la diversité de la substance. Le mot même de matière le démontre à lui seul. Que si Dieu n'est pas la matière, puisque cela est compris dans sa dénomination, comment les différentes parties de la matière, c'est-à-dire les éléments, seront-ils des dieux, puisque les membres ne peuvent différer d'avec le corps?
Mais qu'ai-je à démêler avec les arguments des philosophes? Il aurait fallu qu'ils remontent à la création du monde, au lieu de se plonger dans toutes les incertitudes. Je ne sais quel rêveur a imaginé, peut-être d'après Platon, que le monde, carré d'abord, avait reçu ensuite la forme circulaire, sans tête comme sans issue. Épicure, après avoir dit: « Ce qui est au-dessus de nos têtes n'a rien de commun avec nous, » s'avisant un jour de regarder le ciel, y aperçut le soleil, auquel il donna un pied de diamètre. Avouons-le! la modération était encore dans les cieux. Mais, à mesure que le luxe s'accrut, le soleil profita de ses progrès pour grandir aussi. Les Péripatéticiens voulurent bien reconnaître qu'il était plus grand qu'on ne le disait. Mais, je vous le demande, quelle sagesse trouvez-vous au fond de ces conjectures sans fin? Que prouvent cette affectation de gravité, ces affirmations oiseuses, et tous ces riens que recouvre la pompe du langage? C'est donc à bon droit que Thalès de Milet mérita de tomber dans un puits, en se promenant des yeux dans l'immensité du ciel, et d'apprêter à rire à cet Égyptien qui lui dit: « Tu ne vois pas ce qui se passe à tes pieds, et tu veux savoir ce qui se passe là-haut. » Thalès au fond de son puits est le symbole de ces hommes qu'une vaine curiosité pousse à étudier la nature, sans s'occuper de celui qui l'a créée et qui la gouverne: ils s'agitent dans le vide.
