VII.
Mais, pour passer au système mythique attribué par nous aux poètes, je ne sais pas, en vérité, si leurs dieux ne sont pas de beaucoup inférieurs à l'humanité, tels que ce Mopsus d'Afrique et cet Amphiaraüs de la Béotie. Il faut dire un mot ici de cette espèce de dieux, dont nous parlerons en son lieu avec plus d'étendue. En attendant, il est déjà manifeste qu'ils ont été hommes, puisqu'au lieu de les appeler ordinairement des dieux, vous leur donnez le nom de héros. Qu'ajouterai-je à cette preuve? Rien, sinon que, dans la supposition où il eût fallu attribuer la divinité à des mortels, vous auriez dû en exclure de pareils hommes. De nos jours encore, vous souillez le ciel, quand vous en faites le cimetière de vos rois. Encore, si vous choisissiez les plus vertueux, les plus justes, les plus bienfaisants, pour leur décerner l'apothéose, vous pourriez vous borner au ridicule de jurer par de tels hommes. Mais non; ce sont les impies, les débauchés, qu'en outre de la gloire humaine vous consacrez par ces honneurs, eux dont vous portez en triomphe les images, eux dont vous gravez l'empreinte sur vos monnaies. Mais le dieu qui aperçoit, approuve et récompense toutes les bonnes oeuvres, prostituera-t-il au hasard son indulgence, et l'homme mettra-t-il dans tout le reste de ses actions plus de sagesse et de justice que dans le choix de ses divinités? Les compagnons des rois et des princes seront-ils plus purs que ceux du dieu suprême? Vous avez en horreur les vagabonds, les exilés, les faibles, les pauvres, ceux qui sont nés dans l'obscurité ou qui vivent dans les derniers rangs: au contraire, vous élevez aux nues les incestueux, les adultères, les parricides. Faut-il rire, faut-il s'indigner, en voyant des dieux qui ne méritent pas même le nom d'hommes? Dans ce système allégorique introduit par les poètes, quel embarras, en effet, n'éprouvez-vous pas au fond de votre conscience et pour la défense de la pudeur? Que de misères et de turpitudes vos poètes ont mises sur le compte de la divinité! Chaque fois que nous vous les reprochons, vous nous répondez que ce sont là des inventions poétiques. Mais si nous gardons le silence sur ces infamies, non seulement vous n'en avez plus horreur, mais vous allez jusqu'à les honorer, en les regardant comme une partie nécessaire de l'art. Que vous dirai-je enfin? C'est par cette mythologie corruptrice que vous initiez à l'étude des lettres l'esprit de la jeunesse. Platon voulait que l'on chassât de sa République les poètes, parce qu'ils calomnient les dieux. Il ne fait pas grâce à Homère lui-même; il le bannit, tout en plaçant la couronne sur sa tête. Mais vous, qui accueillez et retenez les poètes dans vos murs, pourquoi ne les croyez-vous pas quand ils vous racontent les infamies de vos dieux? Ou bien, si vous croyez vos poètes, pourquoi honorez-vous de pareils dieux? Si vous les honorez parce que vous ne croyez pas vos poètes, pourquoi louez-vous des menteurs, sans craindre d'insulter par là ceux dont vous honorez les détracteurs?
On ne peut exiger des poètes tant de respect pour la vérité, dites-vous. Mais en admettant que vos dieux ne sont devenus tels qu'après leur mort, ne déclarez-vous pas qu'avant leur mort ce n'étaient que des hommes? Or, que des hommes aient participé aux vicissitudes, aux crimes et aux infamies de l'humanité, qu'y a-t-il là de si nouveau? Vous ne croyez pas vos poètes? dites-vous. Mais alors pourquoi faites-vous des sacrifices et des rites religieux conformes aux récits de vos poètes? Pourquoi la prêtresse de Cérès est-elle enlevée, sinon parce que Cérès l'a été? Pourquoi immolez-vous à Saturne des enfants étrangers, sinon parce que Saturne n'a pas épargné les siens? Pourquoi mutile-t-on un mâle en l'honneur de Cybèle, si vous n'admettez pas qu'un jeune homme dédaigné par elle et frustré dans ses espérances, fut ainsi barbare contre lui-même? Pourquoi les femmes de Lanuvium se livrent-elles à de monstrueuses indignités, si elles n'honorent pas ainsi les débauches d'Hercule? Les poètes mentent, oui, sans doute, non pas quand ils prêtent aux hommes ces turpitudes, mais quand ils attribuent la divinité à des hommes souillés de pareilles turpitudes. Il vous était plus facile de croire que les hommes étaient dieux, mais sans avoir rien de commun avec ces infamies, que d'associer à ces infamies l'idée de la divinité.
