VIII.
Parmi ce peuple de dieux, il nous reste à parler de ces dieux que les peuples se sont créés par caprice ou ont admis sans aucun examen, d'après je ne sais quelles notions particulières. Dieu, j'imagine, doit être connu partout, présent partout, puissant partout, adoré partout, apaisé partout. Lors donc que ceux devant lesquels se courbe le plus généralement le monde tout entier sont inhabiles à prouver leur divinité, à plus forte raison ceux qui ne sont pas mêmes connus de leurs propres concitoyens. En effet, quelle autorité peut avoir pour elle cette théologie à laquelle la renommée fait défaut? En connaissez-vous beaucoup qui aient jamais entendu parler de l'Atargatis des Syriens, de la Célestis d'Afrique, de là Varsutine des Maures, d'Obodas et de Dusarès chez les Arabes, de Bélénus en Noricie, ou de ceux que désigne Varron, un Delventinum chez les habitants de Casinies, un Visidianum chez les Narniens, un Numentinum dans la ville d'Athènes, une Ancharia et je ne sais quelle Préveris chez les Esculaniens, une Nortia chez ceux de Vulsinies, dont les noms ne peuvent même s'élever jusqu'à la dignité humaine?1 Je ne puis m'empêcher de rire à l'aspect de ces dieux décurions, adorés par chaque municipe, mais dont la gloire n'en dépasse pas les limites. Voulez-vous savoir jusqu'où a été poussée cette licence de se donner des dieux à sa fantaisie? Interrogez les superstitions des Égyptiens, qui transforment en dieux leurs animaux, n'ayant pas assez probablement de leurs crocodiles et de leur serpent. Car c'était trop peu que d'avoir déjà divinisé un homme. Je veux parler de celui qui est célèbre, non pas seulement dans l'Égypte ou dans la Grèce, mais dans tout l'univers. Les Africains ne jurent que par lui si l'on veut savoir quelque chose de certain sur son compte, il est vraisemblable qu'il faut le demander à nos saintes Lettres.
En effet, ce Sérapis n'est pas autre chose qu'un certain Joseph. . . . . . de la race des saints, le plus jeune de ses frères, mais aussi le plus honoré. Ceux-ci l'ayant vendu par jalousie à un marchand qui l'emmena en Égypte, il devint l'esclave du Pharaon qui régnait alors dans cette contrée. Une reine impudique le poursuivit de ses désirs. Il refusa d'y céder; mais alors, calomnié par elle, il fut jeté en prison par le roi. Dans son cachot, il attesta l'énergie de son esprit, par l'interprétation de quelques songes obscurs. Vers cette époque, le roi lui-même eut deux songes terribles; il fit rassembler tous les sages pour les lui expliquer: mais vainement. Il appela Joseph du fond de sa prison. Joseph expliqua aussitôt le songe. « Les sept vaches grasses, dit-il, signifient sept années d'une grande abondance; les sept vaches maigres qui les suivent, annoncent sept années de stérilité. » Il recommanda ensuite au roi de profiter de l'abondance précédente pour rassembler des provisions contre les périls de la famine. Le roi crut à ses paroles: l'événement ne manqua jamais de confirmer les prédictions de l'homme juste, saint et si nécessaire. Le Pharaon le mit aussitôt à la tête de l'Égypte, pour veiller à l'administration et aux approvisionnements. Le peuple le surnomma Sérapis, à cause du diadème de cheveux qui couronnait sa tête. Ce diadème, qui a encore la forme d'un boisseau, rappelle la mémoire de ses approvisionnements: les épis qui l'environnent sont une preuve de plus que le soin de ces approvisionnements reposait sur sa tête. Les Égyptiens l'ont représenté avec un chien sous sa main droite, animal qu'ils placent dans les tombeaux, pour marquer que l'Égypte avait été obéissante sous sa main. Ils lui donnent pour compagne Pharia, que l'analogie du nom nous indique comme étant la fille du Pharaon; car il est certain que le Pharaon, parmi les récompenses et les honneurs dont il le combla, lui donna sa fille en mariage. Plus tard, lorsque ce peuple adora les hommes et toute sorte d'animaux, des deux formes il ne fit plus qu'un Anubis, simulacre monstrueux qui ne représente plus que cette nation, toujours en guerre avec elle-même, toujours en révolte contre ses rois, méprisée par les étrangers, abrutie par la débauche et la gourmandise, bien digne enfin de la servitude.
Allusion à tous ces noms de dieux, féminins ou neutres en latin. ↩
