11.
Mais revenons à l'ordre et que Licentius nous soit enfin rendu. Voici donc ma question : L'insensé vous paraît-il agir avec ordre, quoi qu'il fasse ? Mais voyez les piéges de cette; question : si vous répondez que c'est avec ordre, alors l'insensé se conduisant lui-même en tout avec ordre, que devient cette définition : L'ordre est la règle selon laquelle Dieu régit tout ce qui existe? Et si l'ordre n'est point dans tout ce que fait l'insensé, quelque chose sera donc en dehors de l'ordre? Mais vous n'admettez ni l'un ni l'autre. Prenez garde qu'en définissant l'ordre vous ne mettiez tout en désordre. Comme Licentius était encore distrait : Il est facile, dit Trygétius, de répondre à ce dilemme, et toutefois je n'ai point sous la main une comparaison qui devrait, je crois, donner à ma pensée plus de force et de clarté. J'exprimerai néanmoins cette pensée, et tu feras ensuite ce que tu as fait tout à l'heure; car cette mention des ténèbres, à propos de ce que j'avais avancé d'une manière si obscure, ne m a pas médiocrement éclairé. Je dis donc que toute la vie des insensés, quoiqu'elle n'ait de leur part, ni suite, ni ordre, est cependant, grâce à la divine Providence, renfermée dans l'ordre nécessaire des choses; et comme si une place lui était préparée par cette loi ineffable et éternelle, jamais elle n'est où elle ne doit pas être. De là vient que tout homme qui la considère avec un esprit étroit, s'en détourne comme repoussé par une laideur horrible. Mais s'il élève et étend ses regards jusqu'à embrasser l'ensemble, il ne trouvera rien qui ne soit ordonné, rien qui ne soit en quelque sorte toujours disposé et mis à la place qu'il doit occuper.
