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Aussi lorsque nous considérons attentivement toutes les parties de cet édifice, comment n'être pas blessés de voir une porte à l'extrémité et une autre porte à peu près au milieu sans être au milieu même? N'est-ce pas offenser l'oeil que de prendre en construisant des mesures irrégulières sans y être forcé? Voici à l'intérieur trois fenêtres: une au milieu, deux aux extrémités; elles sont à égales distances et jettent également la lumière sur la baignoire. N'éprouvons-nous pas du plaisir, notre esprit n'est-il point satisfait lorsque nous les regardons avec une attention particulière? La chose est évidente, il n'est pas nécessaire de vous en parler longuement. Aussi les architectes disent-ils que cette disposition a une raison d'être, comme ils disent qu'elle est sans raison lorsque les parties sont distribuées sans ordre.
On peut faire souvent ces observations, les appliquer à presque tous les actes et à toutes les œuvres de l'homme. Dans la poésie, disons-nous, la raison doit avoir en vue le plaisir de l'oreille; et n'est-ce point la mesure qui le produit tout entier? Quoique les mouvements bien cadencés d'un danseur charment les regards par la mesure même à laquelle ils obéissent, te spectateur intelligent comprend ce qu'ils signifient, ce qu'ils représentent; aussi en faisant abstraction des jouissances qu'elle procure aux sens, dit-on alors que la danse est rationnelle; qu'elle donne à Vénus des ailes, un manteau à Cupidon; qu'elle représente ces prétendues divinités avec toute la souplesse et toute la grâce possibles, les yeux n'en seront pas blessés, mais l'esprit. Aux yeux de l'esprit cette représentation ne serait point fidèle; les yeux du corps seraient choqués si le mouvement manquait d'harmonie; car il est fait pour les sens et pour plaire à l'âme en tant qu'elle anime le corps. Autre est donc le plaisir des sens; autre ce que l'on perçoit par les sens; les sens sont flattés d'un beau mouvement, et ce que l'âme reçoit d'eux avec plaisir, c'est l'agréable connaissance de ce que signifie le mouvement.
Il est plus facile encore d'appliquer cette remarque au sens de l'ouïe. L'oreille est charmée, séduite par tout son mélodieux; mais, quoique transmise par l'oreille, la belle pensée que rappelle le son s'adresse exclusivement à l'esprit. De là vient qu'en entendant ces vers
Pourquoi de nos soleils l'inégale clarté
S'abrège dans l'hiver, se prolonge en été1?
nous ne confondons pas dans nos éloges la beauté des vers et la beauté de la pensée . et nous ne disons pas au même point de vue que l'harmonie est belle et que l'expression est rationnelle.
Virg. Géorg. liv. II, vers. 480, 482. ↩
