CHAPITRE XII.
DU CULTE DES FAUX DIEUX ÉTABLI PAR LES ROIS DE LA GRÈCE, DEPUIS L’ÉPOQUE DE LA SORTIE D’ÉGYPTE JUSQU’A LA MORT DE JÉSUS NAVÉ.
Durant ce temps, c’est-à-dire depuis que le peuple juif fut sorti d’Egypte jusqu’à la mort de Jésus Navé, les rois de la Grèce instituèrent en l’honneur des faux dieux plusieurs solennités qui rappelaient le souvenir du déluge et de ces temps misérables où les hommes tour à tour gravissaient le sommet des montagnes et descendaient dans les plaines. Telle est l’explication que l’on donne de ces courses fameuses des prêtres Luperques1, montant et descendant tour à tour la Voie sacrée2. C’est en ce temps que Dionysius, qu’on nomme aussi Liber, se trouvant dans l’Attique, apprit, dit-on, à son hôte l’art de planter la vigne, et fut honoré comme un dieu après sa mort. Alors aussi des jeux de musique furent dédiés à Apollon de Deiphes, suivant son ordre, pour l’apaiser, parce qu’on attribuait la stérilité de la Grèce à ce qu’on n’avait pas garanti son temple du feu, lorsque Danaüs fit irruption dans leur pays. Erichthon fut le premier qui institua en Attique des jeux en son honneur et en l’honneur de Minerve. Le prix en était une branche d’olivier, parce que Minerve avait enseigné la culture de cet arbre, comme Bacchus celle de la vigne. Xanthus, roi de Crète, que d’autres nomment autrement3, enleva en ce temps-là Europe, dont il eut Rhadamante, Sarpédon et Minos, que l’on fait communément fils de Jupiter. Mais les adorateurs de ces dieux prennent ce que nous avons rapporté du roi de Crète pour historique, et ce qu’on dit de Jupiter et ce qu’on en représente sur les théâtres comme fabuleux, de sorte qu’il ne faudrait voir dans ces aventures que des fictions dont on se sert pour apaiser les dieux, qui se plaisent à la représentation de leurs faux crimes. C’était aussi alors qu’Hercule florissait à Tyrinthe4, mais un autre Hercule que celui dont nous avons parlé plus haut. Les plus savants dans l’histoire comptent en effet plusieurs Bacchus et plusieurs Hercules. Cet Hercule dont nous parlons, et à qui l’on attribue les douze fameux travaux, n’est pas celui qui tua Antée, mais celui qui se brûla lui-même sur le mont OEta, lorsque cette vertu, qui lui avait fait dompter tant de monstres, succomba sous l’effort d’une légère douleur. C’est vers ce temps que le roi, ou plutôt le tyran Busiris, immolait ses hôtes à ses dieux. Il était fils de Neptune, qui l’avait eu de Lybia, fille d’Epaphus; mais je veux que ce soit une fable inventée pour apaiser les dieux, et que Neptune n’ait pas cette séduction à se reprocher. On dit qu’Erichthon, roi d’Athènes, était fils de Vulcain et de Minerve. Toutefois, comme on veut que Minerve soit vierge, on raconte que Vulcain, la voulant posséder en dépit d’elle, répandit sa semence sur la terre, d’où naquit un enfant qui, à cause de cela, fut nommé Erichthon5. Il est vrai que les plus savants rejettent ce récit et expliquent autrement la naissance d’Erichthon. Ils disent que dans le temple de Vulcain et de Minerve (car il n’y en avait qu’un pour tous deux à Athènes), on trouva un enfant entouré d’un serpent, et que, ne sachant à qui il était, on l’attribua à Vulcain et à Minerve. Sur quoi je trouve que la fable rend mieux raison de la chose que l’histoire. Mais que nous importe? l’histoire est pour l’instruction des hommes religieux, et la fable pour le plaisir des démons impurs, que toutefois ces hommes religieux adorent comme des divinités. Aussi, encore qu’ils ne veuillent pas tout avouer de leurs dieux, ils ne les justifient pas tout à fait, puisque c’est par leur ordre qu’ils célèbrent des jeux où on représente leurs crimes, et que ces dieux, disent-ils, s’apaisent par de telles infamies. Les crimes ont beau être faux, les dieux païens n’en sont guère moins coupables, puisque prendre plaisir à des crimes faux est un crime très-véritable.
Sur les Lupercales et les Luperques, voyez Ovide, Fastes, lib. II, v. 267 et seq. ↩
La Voie sacrée conduisait de l’arc de Fabius au Capitole en passant par le Forum. ↩
Il est nommé Astérius par Apollodore (lib. III, cap. I, secl. 2), Diodore de Sicile (lib. IV, cap. 60) et Eusèbe (p. 286). ↩
Tyrinthe, ville du Péloponèse, près d’Argos. ↩
Erichthon, dit saint Augustin, vient de eris, lutte, et de Xton, terre. ↩
