CHAPITRE XXXII.
PROPHÉTIES DU CANTIQUE D’HABACUC.
Et dans sa prière ou son cantique, à quel autre qu’au Sauveur dit-il: « Seigneur, j’ai entendu ce que vous m’avez fait entendre, et j’ai été saisi de frayeur; j’ai contemplé vos ouvrages, et j’ai été épouvanté1? » Qu’est-ce que cela, sinon une surprise extraordinaire à la vue du salut des hommes que Dieu lui avait fait connaître : « Vous serez reconnu au milieu de deux animaux ». Que signifient ces deux animaux? ce sont les deux Testaments, ou les deux larrons, ou encore Moïse et Elie, qui parlaient avec Jésus sur la montagne où il se transfigura. « Vous serez connu dans la suite des temps ». Cela est trop clair pour avoir besoin qu’on l’explique. « Lorsque mon âme sera troublée, au plus fort de votre colère, vous vous souviendrez de votre miséricorde ». Il dit ceci en la personne des Juifs, parce que, dans le temps qu’ils crucifiaient Jésus-Christ, transportés de fureur, Jésus, se souvenant de sa miséricorde, dit « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font2 ». Dieu viendra de Théman, et le saint viendra de la montagne couverte d’une ombre épaisse. D’autres, au lieu de Théman, traduisent du côté du midi; ce qui marque l’ardeur de la charité et l’éclat de la vérité. Pour la montagne couverte d’une ombre épaisse, on peut l’expliquer de différentes façons; mais il me paraît mieux de l’entendre de la profondeur des Ecritures qui contiennent les prophéties de Jésus-Christ. On y trouve en effet beaucoup de choses obscures et cachées qui exercent ceux qui les veulent pénétrer. Or, Jésus-Christ sort de ces ténèbres, quand celui qui le cherche sait l’y découvrir: « Il a fait éclater son pouvoir dans les cieux, et la terre est pleine de ses merveilles ». C’est ce que le psalmiste dit quelque part :« Mon Dieu, montez au-dessus des cieux et faites éclater votre gloire par toute la terre. Sa splendeur sera aussi vive que la plus vive lumière3 » : c’est-à-dire que le bruit de son nom fera ouvrir les yeux aux fidèles. « Il tiendra des cornes en ses mains »; c’est le trophée de la croix. « Il a mis sa force dans la charité »; cela n’a pas besoin d’explication. « La parole marchera devant lui et le « suivra n; c’est-à-dire qu’il a été prophétisé avant qu’il ne vînt, et annoncé depuis qu’il s’en est allé. « Il s’est arrêté et la terre a été ébranlée »; il s’est arrêté pour nous secourir, et la terre a été portée à croire. « Il a tourné les yeux sur les nations, et elles ont séché »; entendez qu’il a eu pitié d’elles et qu’elles ont été touchées de repentir. « Les montagnes ont été mises en poudre par un grand effort »; c’est-à-dire que l’orgueil des superbes a cédé à la force des miracles. « Les collines éternelles ont été abaissées »; elles ont été humiliées pour un temps, afin d’être élevées pour l’éternité. « J’ai vu ces entrées éternelles et triomphantes, prix de ses travaux », c’est-à-dire : J’ai reconnu que les travaux de la charité recevront une récompense éternelle. « Les Ethiopiens et les Madianites seront remplis d’étonnement »; les peuples surpris de tant de merveilles, ceux mêmes qui ne sont pas sous l’empire romain, seront sous celui de Jésus-Christ. « Vous mettrez-vous en colère, Seigneur, contre les fleuves, et déchargerez-vous votre fureur sur la mer? » C’est qu’il ne vient pas maintenant pour juger le monde, mais pour le sauver,. « Vous monterez sur vos chevaux, et vos courses produiront le salut »; c’est-à-dire : Vos évangélistes vous portent, et vous les conduisez, et votre Evangile procure le salut à ceux qui croient en vous. « Vous banderez votre arc contre les sceptres, dit le Seigneur »; entendez qu’il menacera de son jugement les rois mêmes de la terre. «La terre s’ouvrira pour recevoir les fleuves dans son sein ». Cela signifie que les coeurs des hommes, à qui il est dit : « Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements4 », s’ouvriront pour recevoir la parole des prédicateurs et confesser le nom de Jésus-Christ. « Les peuples vous verront et s’affligeront»; c’est-à-dire qu’ils pleureront, afin d’être bienheureux5. « En marchant, vous ferez rejaillir de l’eau de toutes parts »; vous répandrez de tous côtés des torrents de doctrine en marchant avec vos prédicateurs. « Une voix est sortie du creux de l’abîme »; c’est-à-dire que le coeur de l’homme, qui est un abîme, n’a pu retenir ce qu’il pensait de vous, et a publié votre gloire partout. « La profondeur de son imagination »; c’est une explication de ce qui précède; car cette profondeur est un abîme. Et quand il ajoute : de son imagination, il faut sous-entendre : a fait retentir sa voix, c’est-à-dire a publié ce qu’elle voyait. En effet, l’imagination, c’est une vision que le coeur n’a pu cacher ni retenir, mais qu’il a proclamée à la gloire de Dieu. « Le soleil s’est levé et la lune a gardé son rang » ; Jésus-Christ est monté au ciel, et l’Eglise a été ordonnée sous son roi. « Vous lancerez vos flèches en plein jour », parce que votre parole sera prêchée publiquement. « Et elles brilleront à la lueur de vos armes ». Il avait dit à ses disciples : « Dites en plein jour ce que je vous dis dans les ténèbres6 ». — «Vos menaces abaisseront la terre » ; c’est-à-dire, humilieront les hommes. « Et vous abattrez les nations dans votre fureur »; parce que vous dompterez les superbes, et ferez tomber vos vengeances sur leur tête. « Vous êtes sorti dans l’intention de sauver votre peuple, pour sauver vos christs, et vous avez donné les méchants en proie à la mort »; cela est clair. « Vous les avez chargés de chaînes n; par ces chaînes, on peut aussi entendre les heureux liens de la sagesse. « Vous avez mis des entraves à leurs pieds et un carcan à leur cou. Vous les avez rompues avec étonnement »; il faut sous-entendre les chaînes. De même qu’il a noué celles qui sont bonnes, il a brisé les mauvaises, d’où vient cette parole du psaume : « Vous avez rompu mes chaînes7 ». — « Avec étonnement »; c’est-à-dire, avec l’admiration de tous ceux qui ont été témoins de cette merveille. « Les plus grands en seront touchés; ils seront affamés comme un pauvre qui mange en cachette»; c’est que quelques-uns des premiers parmi les Juifs, touchés des paroles et des miracles du Sauveur, le venaient trouver, et, pressés par la faim, mangeaient le pain de sa doctrine, mais en secret, parce qu’ils craignaient le peuple, comme le remarque l’Evangile8. « Vous avez poussé vos chevaux dans la mer et troublé ses eaux» ; c’est-à-dire les peuples. Les uns ne se convertiraient pas par crainte, et les autres ne persécuteraient pas avec fureur, si tous n’étaient troublés. « J’ai contemplé ces choses, et mes entrailles ont été émues. La frayeur a pénétré jusque dans mes os, et tout mon être intérieur en a été troublé ». Faisant réflexion sur ce qu’il disait, il en a été lui-même épouvanté. Il prévoyait ce tumulte des peuples, suivi de grandes persécutions contre l’Eglise, et aussitôt, s’en reconnaissant membre: « Je me reposerai, dit-il, au temps de l’affliction», comme étant de ceux qui, selon la parole de l’Apôtre9, se réjouissent en espérance et souffrent constamment l’affliction. « Afin d’aller trouver le peuple qui a été étranger ici-bas comme moi », en s’éloignant de ce peuple méchant qui lui était uni selon la chair, mais qui, n’étant point étranger en ce monde, ne cherchait point la céleste patrie. « Car le figuier ne portera point de fruit, ni la vigne de raisin. Les oliviers tromperont l’attente du laboureur, et la campagne ne produira rien. Les brebis mourront faute de pâturage, et il n’y aura plus de boeufs dans les étables ». Il voyait que cette nation, qui devait mettre à mort Jésus-Christ, perdrait les biens spirituels qu’il a prophétiquement figurés par les temporels; et parce que la colère du ciel est tombée sur ce peuple, à cause qu’ignorant la justice de Dieu10, il a voulu établir la sienne à la place, il ajoute aussitôt: « Mais moi je me réjouirai, Seigneur, je me réjouirai en mon Seigneur et mon Dieu. Le Seigneur mon Dieu est ma force, il affermira mes pas jusqu’à la fin. Il m’élèvera sur les hauteurs, afin que je triomphe par son cantique »; c’est-à-dire par ce cantique dont le Psalmiste dit quelque chose de pareil en ces termes: « Il a affermi mes pieds sur la pierre, et il a conduit mes pas. Il m’a mis en la bouche un nouveau cantique, un hymne à la louange de notre Dieu11 ». Celui-là donc triomphe par le cantique du Seigneur, qui se plaît à entendre les louanges de Dieu, et non les siennes, « afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur12 ». Au reste, quelques exemplaires portent : « Je me réjouirai en Dieu mon Jésus » ; ce qui me paraît meilleur que « en Dieu mon Sauveur », parce que Jésus est un nom plein de douceur et de confiance.
