27. Patience et obéissance d'un autre solitaire.
Ces quelques traits de l'abbé Jean, pris entre mille, suffisent; parlons maintenant de l'abbé Mucius, qui mérite aussi d'être cité. Lorsque ce saint homme voulut renoncer au monde, il demeura si longtemps à la porte du monastère, que sa persévérance força les religieux à le recevoir, contrairement à leurs usages, avec son jeune fils qui avait à peine huit ans. Dès qu'ils furent admis, non-seulement on les confia à des directeurs différents, mais on les mit dans des cellules très-éloignées l'une de l'autre, de peur que le père, en voyant son fils, ne retrouvât dans cette jouissance tous les biens qu'il avait abandonnés; il devait oublier qu'il avait été riche, et aussi qu'il était père. Pour mieux éprouver si la tendresse naturelle qu'il pouvait avoir ne nuisait pas à cette obéissance, à cette abnégation chrétienne que doivent préférer à tout ceux qui renoncent au monde, on négligeait à dessein son enfant, on le revêtait de haillons et on l'entretenait si mal , que sa vue devait plutôt affliger que réjouir son père; quelquefois même on le maltraitait en sa présence, et il rencontrait sans cesse le pauvre innocent, la figure baignée de larmes ou souillée par celles qu'il avait répandues. Quoiqu'il vît ainsi son fils, tous les jours, la tendresse paternelle ne l'ébranla pas, et il resta toujours fidèle à l'amour du Christ et à la vertu de la sainte obéissance. Il ne regardait plus comme son fils celui qu'il avait offert avec lui-même à Dieu ; il ne s'inquiétait pas des injures qu'il souffrait, et il s'encourageait, au contraire, en voyant qu'il ne les supportait pas inutilement; au lieu de se troubler de ses larmes, il ne pensait qu'à ses progrès dans l'humilité et la perfection. Le supérieur de la communauté, qui remarquait le calme et la force de son âme, voulut savoir jusqu'où irait sa constance. Un jour qu'il voyait l'enfant pleurer, il parut s'irriter contre lui, et il ordonna au père de le prendre et d'aller le jeter à la rivière. Le père, comme s'il eût reçu cet ordre de Dieu même, prit aussitôt son enfant dans ses bras et courut bien vite au bord de l'eau, où il eût accompli certainement cet acte de foi et d'obéissance, si des religieux, qui avaient été prévenus, ne l'eussent arrêté et n'eussent repris l'enfant, qui était presque déjà dans la rivière. Le père avait obéi, et sans cette intervention, le sacrifice était consommé.
