28.
Ici encore se présente une question très-difficile. De quelle manière en effet pourrons-nous, nous autres insensés, découvrir le sage, puisque ce nom que presque personne n'ose s'attribuer ouvertement, grand nombre d'hommes le revendiquent cependant d'une manière indirecte , et que, sur les choses mêmes dont la connaissance constitue la sagesse, ces hommes diffèrent tellement entre eux, que nécessairement il n'y en a pas un, ou du moins qu'il n'y en a qu'un seul de sage ? Mais quand l'insensé veut savoir quel est ce sage, je ne vois pas du tout de quelle manière il pourra le distinguer et le reconnaître. Car à des signes, quels qu'ils soient, il ne peut pas reconnaître une chose, s'il ne connaît pas la chose même dont ces signes sont les marques. Or l'insensé ne connaît pas la sagesse. Pour l'or, l'argent et les autres objets de ce genre, qu'on les reconnaisse en les voyant sans toutefois les posséder, je le veux bien; mais pour la sagesse, l'intelligence qui en est dépourvue, ne saurait la voir. Tout ce que nous atteignons à l'aide de nos sens, se présente à nous extérieurement; voilà pourquoi nous pouvons aussi voir avec nos yeux des objets qui nous sont étrangers, bien que aucun de ces objets ou des objets de ce genre ne nous appartienne. Mais ce qui est saisi par l'intelligence, est au dedans de nous-mêmes, et ici voir et avoir, c'est tout un. Or l'insensé est dépourvu de sagesse; il ne connaît donc pas la sagesse. En effet, il ne pourrait la voir de ses yeux. D'ailleurs il ne peut pas la voir sans la posséder, ni la posséder et être un insensé. II ne la connaît donc pas, et ne la connaissant pas, il ne peut pas la reconnaître ailleurs. Tant qu'on est insensé, on ne peut découvrir d'une manière certaine un sage dont les conseils puissent nous délivrer de ce triste mal de la folie.
