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Mais, diras-tu, ne vaudrait-il pas mieux me donner la raison des choses, afin que, partout où cette raison me conduirait, je puisse la suivre sans craindre de m'égarer? C'est possible, mais il est bien difficile que tu arrives à la connaissance de Dieu par la raison. Dis-moi en effet, crois-tu tous les hommes capables de saisir les raisonnements par lesquels on conduit l'esprit humain à l'intelligence de la divinité? ou bien y en a-t-il un certain nombre, ou seulement fort peu? Fort peu, je crois, diras-tu. Crois-tu être du nombre ? Tu diras : ce n'est pas à moi à répondre à cette question. Tu crois donc que c'est encore ici au maître à te croire, ce qu'il fait du reste. Rappelle-toi seulement qu'il t'a déjà cru deux fois sans être certain de ta véracité, et toi, alors qu'il te parle,de religion, tu ne veux même pas le croire une seule fois! Mais supposons que tu viennes avec toute la sincérité de l'âme prendre des leçons sur la religion, et que tu sois du petit nombre de ces hommes capables de saisir les raisonnements par lesquels on arrive à la connaissance certaine de la nature divine ; les autres hommes qui ne sont pas doués d'un esprit aussi heureux, devra-t-on leur refuser l'entrée de la religion, ou bien les conduire lentement et par degrés jusqu'au fond du sanctuaire? Tu vois tout de suite combien ce dernier parti est plus religieux. En effet, nul homme, désireux d'une chose aussi importante, ne saurait mériter à tes yeux qu'on l'abandonne ou qu'on le repousse. Mais n'es-tu pas d'avis que si cet homme ne croit d'abord parvenir à son but, s'il ne recoure à la prière, et ne se purifie par un certain genre de vie en se soumettant à quelques préceptes élevés et nécessaires, il ne saurait comprendre une doctrine qui est la vérité pure? C'est ta pensée sans doute. Eh bien l ces autres hommes dans la classe desquels je veux bien te ranger, qui peuvent par une raison infaillible saisir très-facilement les secrets divins, quel inconvénient pour eux d'arriver par le chemin que suivent ceux qui commencent par croire? Aucun assurément. Mais cependant, diras-tu, à quoi bon les retarder? Parce que, si leur conduite rie leur nuit pas à eux-mêmes, leur exemple ne laisserait pas de nuire aux autres. Car bien peu d'hommes sentent ce dont ils sont vraiment capables : le pusillanime a besoin d'être poussé, le présomptueux, d'être retenu ; afin que l'un ne succombe pas au désespoirs et que l'autre ne soit pas emporté par sa témérité ; ce qui est facile à obtenir, si ceux mêmes qui peuvent voler, sont obligés, pour n'être pas un stimulant dangereux, de marcher quelque temps dans la voie qui offre aux autres pleine sécurité.
Telle est la prévoyance de la vraie religion; tel est l'ordre de la divinité, telle est la tradition de la bienheureuse antiquité, tradition conservée jusqu'à nous. Vouloir y porter le trouble et le désordre, c'est tout simplement chercher une voie sacrilège pour arriver à la vraie religion. Ceux qui agissent ainsi ne peuvent arriver à leur but, quand même on admettrait leurs prétentions. Eussent-ils en effet le génie le plus élevé, si Dieu ne les soutient, ils rampent à terre. Or, Dieu nous soutient si, quand nous cherchons à le connaître, nous ne perdons pas de vue la société humaine. Il n'y a pas pour pénétrer dans les secrets du ciel de moyen plus sûr que celui-là. Pour loi, je n'ai rien à répandre à une pareille raison. Comment dire en effet que l'on ne doit jamais croire sans connaître , puisque, à moins de croire quelque chose qui ne peut être démontré d'une manière positive, il n'y a pas d'amitié possible, et que souvent les maîtres ajoutent foi aux comptes de leurs esclaves sans encourir de reproche? Or, quand il s'agit de la religion, quoi de plus étrange que de voir les prêtres du Seigneur nous croire, alors que nous leur promettons de les écouter sincèrement, tandis que nous, nous ne voulons pas croire à ce qu'ils enseignent? Enfin peut-il y avoir une voie plus salutaire que de se mettre d'abord en état de comprendre la vérité, en ajoutant foi à des choses que la volonté divine a établies pour préparer et prédisposer notre âme? ou bien, si l'on est déjà parfaitement propre à comprendre la vérité, d'avancer quelque temps sur une voie parfaitement sûre, plutôt que d'être pour soi-même une cause de danger, et pour les autres un exemple de témérité ?
