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Voilà, crois-moi, l'autorité la plus salutaire; voilà où notre esprit, de ce séjour terrestre, doit s'élever de préférence; voilà comment, renonçant à l'amour de ce monde, nous devons nous tourner vers Dieu. L'autorité est pour les insensés le seul moyen d'arriver promptement à la sagesse. Tant que nous ne pouvons comprendre la vérité pure, il serait malheureux sans doute d'être trompés par l'autorité, mais il serait plus malheureux encore d'y rester insensibles. Si la Providence divine ne préside pas aux choses humaines, inutile de s'occuper de la religion. Mais si l'aspect de l'univers qu'il faut nécessairement faire remonter à une source de beauté et de vérité, si je ne sais quel sentiment intérieur engage les meilleures âmes, soit réunies, soit isolées, à chercher Dieu et à le servir, il faut reconnaître que Dieu lui-même a établi une certaine autorité , qui nous sert comme d'échelle assurée pour nous élever à lui. Cette autorité où la raison n'est pour rien, et qu'il est bien difficile aux insensés, comme nous l'avons dit, de comprendre dans toute sa pureté, nous frappe de deux manières, soit par les miracles, soit par la multitude de ceux qui se soumettent à elle. Le sage n'a pas besoin d'être frappé ainsi, qui le nie ? Mais il s'agit ici d'arriver à la sagesse, c'est-à-dire de se rapprocher de la vérité, ce que l'âme souillée assurément ne saurait faire. Or, les souillures de l'âme sont, pour le dire en peu de mots, l'amour de toutes choses, excepté de l'âme et de Dieu; plus on est purifié de ces souillures, plus on aperçoit facilement la vérité. Aussi, vouloir voir la vérité pour purifier sols âme, quand au contraire on purifie son âme pour voir la vérité, c'est agir d'une façon étrange et à contre-sens. Quand donc un homme ne peut pas apercevoir le vrai, l'autorité est là pour le mettre à même de le faire et pour l'engager à se purifier. Cette autorité, comme je viens de le dire, prend sa force et dans les miracles et dans la multitude de ses adhérents; c'est là une chose incontestée. J'appelle miracle quelque chose de grand, d'extraordinaire, d'inattendu, et que nous admirons sans le comprendre. En fait de miracles, il n'en est point de plus propre à agir sur les peuples, et en général sur les insensés, que ceux qui frappent les sens.
Mais ici encore il faut établir deux catégories : car il est des miracles qui n'excitent que l'admiration, tandis que d'autres produisent en outre un vif sentiment de gratitude et de bienveillance. Qu'on voie un homme voler dans les airs, comme il n'y a là qu'un spectacle sans utilité pour le spectateur, on se contente d'admirer. Mais qu'un homme, atteint d'une maladie grave et sans remède, reprenne promptement ses forces sur l'ordre de quelqu'un, son étonnement d'avoir recouvré la santé sera moindre que son amour pour son sauveur. Tels sont les faits qui se passèrent à l'époque où Dieu apparaissait au monde en homme véritable, autant que cela était nécessaire. La santé fut rendue aux malades, la propreté aux lépreux, la marche aux boiteux, la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds. Les hommes de ce temps-là ont vu l'eau changée en vin, cinq mille personnes rassasiées avec cinq pains, les mers traversées à pied, les morts rendus à la vie : ainsi certains miracles avaient en vue plus manifestement le bien du corps, d'autres, dont le caractère était plus voilé, s'adressaient à l'âme, tous attestaient par leur grandeur qu'ils avaient l'homme pour but. De cette façon, l'autorité divine ramenait alors à soi les âmes égarées des mortels. Pourquoi, diras-tu, ces choses-là ne se voient-elles plus? Parce qu'elles ne toucheraient pas si elles n'étaient pas merveilleuses; or, si elles se reproduisaient d'habitude, elles ne seraient plus merveilleuses. En effet, les alternatives du jour et de la nuit, l'ordre si constant des phénomènes célestes, le retour périodique des quatre saisons de l'année, les feuilles qui tour à tour tombent des arbres et leur reviennent, la quantité infinie des semences, la beauté de la lumière, les variétés des couleurs, des sons, des odeurs et des saveurs, suppose tout cela vu et senti pour la première fois par un homme, avec qui toutefois nous puissions converser; le voilà interdit, stupéfié de ces merveilles. Nous, au contraire, nous n'y faisons pas attention, non parce qu'il nous est facile d'en pénétrer les secrets ; quoi de plus obscur en effet que les causes qui les produisent? mais parce que nous les voyons constamment. Les miracles dont nous parlons, ont donc été faits à une époque fort opportune, pour que, grâce à eux, la multitude des fidèles grandissant et s'étendant, leur autorité servît utilement à la conversion des moeurs.
