2.
[6] La cause de la dissolution est éclaircie par l'exemple que nous avons donné. Comme les sens ont une étroite affinité avec l'élément épais et terrestre, et que la nature de l'intelligence est supérieure aux mouvements de la sensation et plus élevée qu'eux, voilà pourquoi le discernement du bien, lorsque les sens en ont fait l'essai, a été égaré par eux, et cette méconnaissance du bien a déterminé la formation de l'état contraire ; c'est ainsi que la partie de nous-mêmes devenue inutile pour avoir accueilli l'élément contraire est livrée à la dissolution. Voici quel est le sens de l'exemple. [7] Supposons le cas suivant: un vase fait d'argile a été rempli par malveillance de plomb fondu, et le plomb une fois versé s'est solidifié de sorte qu'il est désormais impossible de le faire couler hors du vase. Le propriétaire du vase le réclame, et connaissant l'art du potier, il brise l'enveloppe tout autour du plomb ; puis il modèle le vase de nouveau en le ramenant à sa première forme, en vue de son usage propre, une fois qu'il l'a eu vidé de la matière qui s'y était mélangée. Ainsi procède l'artiste qui modèle notre propre vase. Le mal ayant été mélangé à la partie sensible, je veux dire à l'élément corporel, le Créateur, ayant décomposé la matière qui renfermait le mal, pour modeler de nouveau le vase purifié de l'élément contraire, au moyen de la résurrection, le restaurera, par la reconstitution de ses éléments, dans sa beauté primitive.
[8] Or il y a entre l’âme et le corps une certaine union, une participation commune aux maux qui accompagnent la faute, et la mort du corps présente une certaine analogie avec celle de l'âme. De même en effet que, pour la chair, le fait d'être séparée de la vie sensible prend chez nous le nom de mort, de même aussi pour l'âme, nous appelons mort sa séparation d'avec la véritable vie. Dans ces conditions, étant donné, comme on l'a dit plus haut, qu'une seule et même participation au mal s'observe pour l'âme et pour le corps, puisque l'un et l’autre contribuent à donner au mal sa force active, voici ce qui en résulte : La mort par voie de dissolution, qui résulte de l'application des peaux mortes, n'atteint pas l'âme. Et en effet comment pourrait se dissoudre ce qui n'est pas composé? [9] Mais comme l'âme aussi a besoin d'être débarrassée par quelque traitement des souillures que ses fautes y ont fait naître, le remède de la vertu lui a été appliqué dans la vie présente pour traiter les plaies de cette nature, et si elle reste incurable, c'est dans la vie de l'au-delà que le traitement a été mis en réserve.
[10] Il y a pour le corps différentes sortes de maladies, qui se prêtent plus facilement que d'autres à un traitement, et pour ces dernières on a recours aux incisions, aux cautérisations, et aux potions amères pour détruire le mal qui a frappé le corps, C'est une méthode semblable que nous annonce expressément le jugement de l'au-delà pour la guérison des infirmités de l'âme. Pour les hommes frivoles, c'est une menace et un procédé de correction sévère, afin que la crainte d'une expiation douloureuse nous amène à fuir le mal et à devenir plus sages ; mais les esprits plus sensés y voient avec foi un procédé de guérison et de traitement appliqué par Dieu, qui veut ramener la créature formée par lui à sa grâce primitive. [11] Car ceux qui enlèvent par l'incision ou la cautérisation les excroissances et les verrues qui se sont formées sur le corps contre nature, n'arrivent pas à guérir sans douleur celui qu'ils soulagent ; mais ils ne pratiquent pas l'incision pour endommager le patient; de même toutes les callosités matérielles qui se forment sur nos âmes devenues charnelles par leur participation aux maladies, sont, au moment du jugement, coupées et retranchées par l'ineffable sagesse et par la puissance de celui qui est, selon le mot de l'Evangile, le médecin des méchants. « Ce ne sont pas en effet, dit-il, les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »
[12] La grande affinité qui s'est établie entre l'âme et le mal a la conséquence suivante : L'incision de la verrue cause une vive douleur à la surface du corps, car ce qui s'est développé dans la nature contre la nature elle-même, tient à la substance par une sorte de sympathie, et il se produit un mélange inattendu de l'élément étranger avec notre propre être, en sorte que la séparation de l'élément contre nature entraîne une sensation douloureuse et aiguë ; de même aussi, quand l'âme s'exténue et se consume dans les reproches que lui attire sa faute, comme dit le prophète, à cause de son union profonde avec le mal, nécessairement doit se présenter un cortège de douleurs indicibles et inexprimables, dont la description est impossible au même titre que celle des biens que nous espérons. Ni les uns ni les autres en effet ne se prêtent aux moyens d'expression dont dispose le langage ni aux conjectures de la pensée.
