12.
La lumière est chose divine; aussi a-t-elle été consacrée aux dieux qui tiennent dans le ciel la place la plus brillante. Comme la santé est un bien, et le plus précieux de tous, ne voyons-nous pas beaucoup de gens recourir au rasoir et aux pâtes épilatoires pour se débarrasser de leurs cheveux? Ils espèrent que la calvitie va les préserver d’un grand nombre de maladies. Mais si l’ophtalmie, le rhume, les maux d’oreilles, et toutes les affections qui ont leur siège dans la tête, disparaissent quand nous sommes déchargés de cet incommode fardeau, n’est-ce pas déjà fort heureux? Que sera-ce donc si du même coup nous guérissons nos pieds ou nos intestins? Quand ces parties du corps sont malades, les médecins font appliquer ce qu’ils appellent des cercles;1 or les cercles ne sont au fond rien autre chose qu’un épilatoire avec lequel on enlève les cheveux plus sûrement qu’avec le fer même. Il est tout simple, en effet, que la tête, comme une citadelle élevée, commande à tout le reste du corps, et lui envoie la santé ou la maladie. Nous autres chauves nous devons donc nous porter, non pas comme le commun des hommes, mais bien mieux, j’ose le dire. Voilà ce que signifie cet Esculape sans cheveux, tel que nous le représentent les Egyptiens. Ces statues nous avertissent, elles nous donnent la plus efficace de toute les prescriptions médicales; elles semblent nous dire que si nous voulons jouir d’une bonne santé, il faut imiter l’inventeur, le dieu de la médecine. Un crâne, exposé aux rayons du soleil et à toutes les intempéries des saisons, se durcit: ne vous étonnez pas si ce n’est plus une substance osseuse, mais du fer; alors il peut braver toutes les maladies. C’est ainsi que les arbres qui poussent dans la plaine ou sur le bord des marécages fournissent, pour les lances, un bois moins solide que ceux qui croissent sur les montagnes: pourquoi? Interrogez Homère, il vous dira que l’arbre a plus de force quand il a grandi au milieu des vents.2 Gardez-vous de croire que c’est par hasard si le prudent Chiron, lorsqu’il a voulu couper du bois pour la lance de Pélée, n’a pas été dans les forêts de Tempé ou de quelque autre vallée du voisinage, où ne manquent point cependant les branches bien lisses et bien longues; il a mieux aimé aller sur le sommet du mont Pélion, où se déchaînent toutes les fureurs de la tempête.3 Là se trouvait un bois excellent, et la lance qui en fut faite a pu servir à plusieurs générations. Il existe autant de différence entre une tête chevelue et une tête chauve: elles ressemblent, la première à l’arbre du marécage qui reste à l’ombre, la seconde à l’arbre de la montagne en butte à tous les vents; voilà pourquoi l’une est aussi fragile que l’autre est solide.
