17.
La chevelure n’a donc rien de martial ni d’effrayant; tout au plus sera-t-elle un épouvantail pour les petits enfants. Ne voyons-nous pas les soldats, quand il faut intimider l’ennemi, se couvrir la tête d’un casque? Or le casque, comme son nom l’indique, n’est en réalité qu’un crâne d’airain.1 — Mais on y ajuste des crins de cheval. — Oui, sans doute, mais ceux qui ont eu à se servir d’un casque savent bien comment il est fait. Je dirai, pour ceux qui l’ignorent, que si l’on adapte une rangée de crins, c’est derrière, entre le métal et la laine qui le garnit intérieurement; mais sur la surface convexe du casque jamais on ne ferait tenir de cheveux: Vulcain lui-même y perdrait sa peine. Aussi ce qui ressemble le plus à une tête chauve, c’est un casque poli; et dans tout l’attirail guerrier il n’est rien qui inspire autant de terreur à l’ennemi. Quand Achille dit que les Troyens ont repris courage, est-ce parce qu’ils ne voient plus flotter la crinière de son casque? Pas du tout; mais que dit-il donc?
Ils n’aperçoivent plus le devant de mon casque,
Brillant au loin.2
Reluisant et lisse, n’est-ce pas tout à fait comme une tête chauve? Et quoi de plus propre à effrayer? — Mais Achille était chevelu, s’il faut en croire Dion. — Oui, mais alors aussi, jeune encore, il était irascible; à cet âge son âme et son corps n’avaient pu acquérir toute leur vigueur. Il est tout simple que les cheveux foisonnent sur la tête des jeunes gens, comme les passions bouillonnent dans leur cœur. Quoi que l’on raconte d’Achille, on ne fera pas de la chevelure une des beautés du corps, pas plus que de la colère une des qualités de l’âme. J’accorde que le fils de Thétis était né pour réunir on lui toutes les vertus, et, je le crois du moins, s’il eût vécu, il aurait eu en partage la calvitie et la sagesse. Bien que jeune, il n’était pas étranger à la médecine et à la musique; et pour ses propres cheveux il en faisait si peu de cas, qu’il les coupait pour les déposer sur les tombeaux comme une pieuse offrande. Socrate aussi, à ce que raconte Aristoxène, était enclin à la colère; et dans ses emportements il ne respectait plus aucune bienséance. Mais Socrate alors n’était pas encore chauve; il n’avait que vingt cinq ans lorsque Parménide et Zénon vinrent à Athènes, comme nous le dit Platon, pour assister aux Panathénées. Si plus tard on avait parlé de Socrate comme d’un homme difficile à vivre et soigneux de sa chevelure, on aurait excité le rire de tous ceux qui le connaissaient : n’était-il pas en effet devenu le plus chauve et le plus doux de tous ceux qui s’étaient jamais occupés de philosophie? N’allez donc pas juger sévèrement le héros à cause de sa chevelure; car dans ce temps-là ce n’était encore qu’un jeune homme, à peine sorti de l’adolescence. Rien absolument ne nous permet de supposer qu’Achille aurait conservé ses cheveux jusque dans la vieillesse. Moi, j’affirme qu’il ne les aurait pas conservés; j’ai, pour le prouver, son père et son aïeul, dont j’ai vu, oui, dont j’ai vu les images; j’ai sa divine origine : car reportez-vous à ce que j’ai dit plus haut de la figure des dieux.
