CHAPITRE VII. POUR QUE NOTRE CORPS NOUS SOIT SOUMIS, IL FAUT NOUS SOUMETTRE A DIEU, DE QUI DÉPEND TOUTE CRÉATURE, DE GRÉ OU DE FORCE.
7. N'allez pas me demander comment nous soumettrons notre corps; rien n'est plus facile à comprendre et à exécuter, une fois que nous nous serons soumis à Dieu, de tout notre coeur, et avec un abandon complet ; car toute créature est, bon gré, mal gré, soumise à un seul Dieu,son Seigneur. Ce que nous recommande la foi, c'est de le servir de tout notre coeur ; car le juste le sert sans rien perdre de sa liberté, et le pécheur, en restant dans ses entraves. Tous sont soumis à la divine Providence ; l'un montre une obéissance fidèle, et sous ses aspirations accomplit le bien ; l'autre est à la chaîne comme un esclave, et subit le sort qu'il mérite. Ainsi le Dieu suprême, l'Auteur de toute créature, qui a fait toute chose excellente, comme il est écrit dans la Genèse1, a réglé la création de manière à tirer le bien des bons et des méchants. Un acte juste est en même temps: un acte bon : or, les bons sont heureux à juste titre, et les méchants sont justement punis; par conséquent Dieu tire le bien des bons et des méchants, puisqu'il fait tout selon les lois de la justice. J'appelle bons ceux qui servent Dieu de tout coeur, et méchants ceux qui le font par contrainte ; car personne ne peut se soustraire aux lois du Tout-Puissant ; mais il y a une différence complète entre exécuter et subir les prescriptions de la loi. Les justes agissent conformément à la loi, et les méchants souffrent d'après cette même loi.
8. Ne nous tourmentons .pas à la pensée que les justes ont, ici-bas, selon la chair dont ils sont revêtus, beaucoup de peines et d'ennuis à supporter. En effet, ils ne sauraient éprouver aucun mal, ceux qui peuvent répéter ces paroles que l'Apôtre fait entendre sous l'inspiration de l'Esprit-Saint:. «Nous nous réjouissons même au milieu de nos tribulations,.sachant que la tribulation produit la constance, la constance la pureté, et la pureté l'espérance. Or, l'espérance n'est point n confondue, puisque l'amour de Dieu est répandu jusqu'au fond de nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné2 ». Si dans cette vie, où l'on a tant à souffrir, les bons et les justes sont capables, non-seulement de supporter avec calme les tribulations qui leur surviennent, mais encore de s'en glorifier dans l'amour de Dieu; que penser de cette autre vie qui nous est promise, où notre corps n'aura rien à souffrir? En effet, les corps des justes et des impies ne ressusciteront pas pour avoir le même sort; il est écrit : « Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés »; et pour qu'on n'aille pas croire que ce changement n'est pas promis aux justes, mais aux impies, et qu'il y a là un châtiment, l'Apôtre ajoute : « Les morts ressusciteront incorruptibles, et c'est nous qui « serons changés3».
Ainsi le sort des méchants est parfaitement réglé: chacun d'eux est nuisible à soi-même, et tous se portent préjudice réciproquement. Ils recherchent, en effet, ce qu'on ne peut aimer sans se faire tort, et ce qui peut être ravi facilement; et ce bien, quand ils se persécutent, ils cherchent à s'en dépouiller les uns les autres. De là des tourments pour ceux qui perdent les faveurs du monde, parce qu'ils y ont mis leur affection. La joie est pour ceux qui les leur ravissent; mais cette joie n'est qu'aveuglement, que misère profonde; elle n'est, en effet, qu'entraves pour l'âme qu'elle entraîne dans des angoisses plus douloureuses. Le poisson aussi se sent heureux, lorsque, sans voir l'hameçon, il dévore l'appât; mais que le pêcheur l'attire à lui, d'abord ses entrailles se déchirent, et bientôt il périt victime de la joie qu'il a éprouvée dans son avidité. Tel est le sort de ceux qui croient trouver le bonheur dans les biens d'ici-bas : ils ont saisi l'hameçon, ils le portent partout avec eux; mais le moment va venir où ils sentiront quels tourments ils ont mis en eux par leur avidité. Les impies, toutefois, ne portent aucun préjudice aux vrais fidèles, parce qu'ils leur enlèvent des biens auxquels ces derniers ne sont pas attachés. Car ce qu'ils aiment et ce qui fait leur bonheur, personne ne peut le leur ravir. Quant aux souffrances du corps qui accablent si tristement les âmes des méchants ; les âmes des justes s'y retrempent et s'y fortifient. Ainsi l'homme méchant et le mauvais ange servent sous les ordres de la divine Providence; mais ils ignorent le bien que Dieu opère par eux; aussi sont-ils payés, non d'après leurs services, mais d'après leur malice.
