CHAPITRE X. OBJECTION CONTRE LA CONTINENCE.
10. Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si tous les hommes embrassaient la continence ? que deviendrait le genre humain ? Plût à Dieu que tous eussent ce désir, inspiré « parla charité « d'un coeur pur, d'une bonne conscience, et « d'une foi véritable1 » ; la cité de Dieu serait plus promptement remplie, et la fin du monde arriverait plus tôt ! N'est-ce pas là ce que désirait l'Apôtre quand il s'écriait : « Je voudrais que tous vous fussiez comme moi ? » Et ailleurs : « Voici ce que je vous dis, mes frères; le temps est court, que ceux qui ont des femmes vivent comme n'en ayant point; que « ceux qui pleurent soient comme ne pleurant point, et ceux qui sont dans la joie comme n'y « étant pas, que ceux qui achètent soient comme s'ils n'achetaient pas, et que ceux qui usent de ce monde soient comme n'en usant pas, car la figure de ce monde passe. Or je veux que vous soyez sans aucune sollicitude». Plus loin il ajoute : « Celui qui n'est pas marié, ne recherche dans ses pensées que ce qui peut plaire à Dieu; tandis que celui qui est engagé dans le mariage, s'occupe des choses du monde et cherche à plaire à sa femme. La « femme mariée a le coeur partagé; celle qui ne l'est pas, n'est préoccupée que des choses du Seigneur, pour se rendre sainte de corps et d'esprit; tandis que celle qui est mariée se préoccupe des choses du monde et cherche à plaire à son mari ». De là je conclus qu'à l'époque où nous sommes, il n'y a que ceux qui ne peuvent vaincre l'incontinence qui doivent se marier, selon cette sentence du même Apôtre : « Ceux qui ne sont pas maîtres d'eux-mêmes, qu'ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler ».
11. Même pour ceux-là, le mariage n'est pas un péché; je le dis d'une manière absolue, sans aucune pensée de comparer le mariage à la fornication et de le montrer comme un moindre péché, car tout moindre qu'il serait, ce serait toujours un péché. Qu'opposerions-nous à cette parole évidente de l'Apôtre : « Qu'il fasse comme il l'entend; en se mariant il ne pèche pas » ; et à cette autre : « En prenant une épouse, vous n'avez pas péché; et en se mariant, la vierge ne pèche pas2 ? » Après des témoignages aussi formels, il n'est plus permis de douter que le mariage soit un péché. Ce n'est donc pas le mariage sous forme de pardon que l'Apôtre permet; quelle absurdité de dire que ceux à qui l'on accorde le pardon n'ont pas péché ! Ce qu'il accorde sous forme de pardon ou d'indulgence, ce sont ces relations matrimoniales qui se font par incontinence, non pas pour le seul motif de la génération, et quelquefois même sans aucun but de créer. Le mariage, loin d'exciter ces relations nécessaires, réclame pour elles l'indulgence et le pardon; pourvu toutefois qu'elles ne se multiplient pas jusqu'à ne laisser aucun temps destiné à la prière et qu'elles ne dégénèrent pas en abus contre les lois de la nature.
C'est cet abus que l'Apôtre stigmatisait quand il parlait de l'affreuse corruption des hommes impudiques et impies3. Il n'y a de permises et de vraiment matrimoniales que les relations nécessaires pour procurer la génération. Tout ce qui se fait en dehors de cette nécessité est inspiré, non plus par la raison, mais par la passion. Et cependant, si, en ne l'exigeant pas, on se contente de rendre le devoir à l'autre époux, pour le soustraire au crime de la fornication, on fait acte de soumission conjugale. Si les deux époux sont victimes de la même concupiscence, leurs relations ne sont plus entièrement conformes aux lois du mariage. Si pourtant ils préfèrent ce qui est honnête à ce qui est déshonnête, c'est-à-dire ce qui est du mariage à ce qui n'en est pas, l'Apôtre les regarde comme dignes d'indulgence et de pardon. Ce n'est pas le mariage qui leur inspire cette conduite, mais il intercède en leur faveur, pourvu qu'ils n'éloignent pas la miséricorde divine, soit en ne se privant aucun jour pour se livrer à la prière, cette privation, comme le jeûne, donnerait du poids à leurs supplications ; soit en changeant l'ordre de la nature, ce qui devient un crime horrible pour des époux.
