CHAPITRE XI. DE L'USAGE CONTRE NATURE. COMBIEN LA VIRGINITÉ L'EMPORTE SUR LE MARIAGE.
12. Quand l'usage du mariage se fait dans l'ordre naturel, mais en dehors de la procréation, il n'est que péché véniel pour l'épouse, mais il est péché mortel pour la concubine. Au contraire, l'usage contre nature, tout horrible qu'il est dans une concubine, le devient bien plus encore pour les époux. Tel est l'ordre établi par le Créateur et imposé à la créature dans les choses dont l'usage est permis, excéder le mode légitime est une faute beaucoup plus pardonnable qu'elle ne l'est si elle se commet dans les choses défendues, lors même que l'abus serait très-rare. Voilà pourquoi on tolère dans le mariage et dans les matières permises certaines licences immodérées, pour empêcher que la passion n'entraîne à ce qui est défendu. Ainsi, quelle que soit l'assiduité dont on obsède une épouse, on se rend par là beaucoup moins coupable qu'on ne le serait en cédant, ne fût-ce que très-rarement, à la fornication. Mais si l'homme veut changer à l'égard de son épouse l'ordre de la nature, cette épouse est beaucoup plus coupable de permettre ce désordre sur elle, que si elle le permettait sur une autre. L'honneur conjugal, c'est la chasteté dans la génération, et la fidélité à rendre le devoir; telle est l'oeuvre propre du mariage, oeuvre proclamée exempte de. toute faute dans ces paroles de l'Apôtre : « En prenant une épouse, vous n'avez pas péché ; la vierge en se mariant, ne pèche pas; qu'elle fasse selon ses désirs, mais en se mariant elle ne pèche pas ». Quant à exiger immodérément le devoir conjugal, l'Apôtre a dit plus haut qu'il en faisait l'objet du pardon accordé aux époux.
13. « La personne qui n'est pas mariée », dit l'Apôtre, « se préoccupe de glorifier le Seigneur et de se rendre sainte de corps et d'esprit ». Mais ces paroles ne doivent pas être entendues dans ce sens, que l'épouse chrétienne, si elle observe les règles de la chasteté, ne soit pas sainte de corps. En effet, c'est à tous les fidèles qu'il a été dit : « Ignorez-vous que vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu de Dieu1? » Si donc les époux se montrent fidèles à eux-mêmes et à Dieu, leurs corps sont saints. Cette sainteté, loin d'être détruite par un époux païen, reflue de l'épouse chrétienne sur l'époux infidèle, et de l'époux chrétien sur son épouse infidèle. C'est l'Apôtre qui nous l'affirme par ces paroles : « L'homme infidèle a été sanctifié par son épousé, et la femme infidèle a été « sanctifiée par notre frère2 ».
Cette proposition ne fait que confirmer celle qui établit pour les vierges une sainteté plus grande que pour les épouses, sainteté qui obtiendra une récompense proportionnée à son degré de mérite. La raison en est que la virginité permet de tourner vers Dieu toutes ses pensées. En effet, la femme fidèle, tout en observant les lois de la pudeur conjugale, ne peut pas ne penser qu'au Seigneur; sa perfection est donc moindre, puisqu'elle a aussi les pensées du monde en cherchant à plaire à son mari. C'est d'elle que l'Apôtre a parlé en disant que le mariage lui impose la nécessité de penser aux choses du monde et de chercher à plaire à son époux.
