CHAPITRE II. DE LA PROPAGATION DES ENFANTS EN DEHORS DU PÉCHÉ.
2. On a souvent demandé quelle eût été, en dehors du péché, la génération des premiers hommes que Dieu avait bénis en ces termes : « Croissez et multipliez-vous et couvrez la face de la terre ». Mais nous ne voyons aucune nécessité ni d'étudier cette question, ni de chercher à la résoudre, puisque le péché est malheureusement un fait qui a soumis les corps à la mort, et qu'aujourd'hui il ne peut y avoir d'union qu'entre des corps mortels. On a émis sur ce point des opinions aussi nombreuses que différentes, et il serait bien difficile de préciser celle qui se rapproche le plus de la vérité des divines Ecritures. Les uns soutiennent qu'en dehors du péché les enfants auraient pris naissance sans aucune relation nécessaire des époux, par l'effet seul de la toute-puissance du Créateur. Dieu peut, sans aucun doute, former les enfants en dehors de tout concours des parents, lui qui a pu former la chair de Jésus-Christ dans le sein virginal de Marie, et qui, pour me faire comprendre des infidèles eux-mêmes, donne aux abeilles une naissance à laquelle le mélange des sexes est absolument étranger. D'autres soutiennent que la bénédiction dont il est parlé, avait été prononcée dans un sens mystique et figuratif ; en sorte que ces paroles «Remplissez la terre et soyez-en les maîtres1 », doivent s'entendre de la plénitude et de la perfection de la vie, tandis que ces autres « Croissez et multipliez », ne signifient que le progrès de l'esprit et l'abondance de la vertu. C'est dans ce sens que le Psalmiste a dit : « Vous me multiplierez dans mon âme par la vertu2 ». Eu effet l'homme n'eut d'enfants par la succession ordinaire que quand, grâce au péché, la mort fut devenue sa destinée.
D'autres prétendent que nos premiers parents n'avaient pas reçu un corps spirituel mais un corps animal, que l'obéissance aurait rendu spirituel et dès lors capable de l'immortalité. Cette immortalité n'eût pas attendu la mort qui est entrée dans le monde par la jalousie de Satan3 et est devenue le châtiment du péché; mais elle eût été l'oeuvre de cette transformation dont parle l'Apôtre : « Ensuite nous qui vivons, qui sommes laissés sur la terre, nous serons ravis avec eux dans les nuées à la rencontre du Christ4 ». D'après cette opinion, le corps des premiers époux était mortel, en vertu de sa conformation première, et cependant ils ne seraient pas morts sans le péché, contre lequel Dieu avait porté une menace de mort. Supposez que Dieu eût menacé ce corps d'une blessure parce qu'il était vulnérable ; si ce corps n'eût point désobéi, tout vulnérable qu'il était, il n'aurait point été blessé. De même rien n'empêchait que la génération fût possible à des corps susceptibles, dans une certaine mesure, d'un progrès continuel, sans toutefois passer par la vieillesse ou au moins par la mort, jusqu'à ce que fût réalisée la bénédiction en vertu de laquelle ils devaient remplir toute la terre. Dieu voulut que les vêtements des Hébreux dans le désert se conservassent intacts pendant quarante ans5. A combien plus forte raison, si l'homme fût resté obéissant, Dieu aurait-il accordé à son corps une certaine permanence heureuse, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à une transformation plus parfaite, non point par l'effet de la mort, qui chasse l'âme du corps, mais par l'effet du passage de la mortalité à l'immortalité, de la qualité animale à la qualité spirituelle.
