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Quant au texte de l'Apôtre, s'il déclare qu'il est bon de ne pas manger de viande et de ne pas boire de vin, ce n'est pas parce qu'à ses yeux, quoi qu'en disent les Manichéens, ces substances lui paraissent impures. Comme il a voulu lui-même expliquer la raison de la mesure qu'il impose, nous n'avons plus à nous permettre aucune explication ni interprétation. Il suffit, en effet, de rapprocher ces paroles de tout l'ensemble du discours pour se rendre raison de la décision qu'il prononce, et voir apparaître dans toute sa honte la fourberie de ceux qui, pour mieux tromper les simples, détachent ainsi certaines expressions de ce qui précède et de ce qui suit, et les rendent par là complètement inintelligibles. Voici le texte de l'Apôtre : « Recevez avec charité celui qui est encore faible dans la foi, et évitez avec lui toute contestation ; car l'un croit qu'il lui est permis de manger de toutes choses; et, au contraire, l'autre qui est faible, ne mange que des légumes. Que celui qui mange de tout ne méprise pas celui qui n'ose manger de tout, et que celui qui ne mange pas de tout, ne condamne pas celui qui mange de tout, puisque Dieu l'a reçu. Qui êtes-vous, pour oser ainsi condamner le serviteur d'autrui ? S'il tombe, ou s'il demeure ferme, cela regarde son maître; mais il demeurera ferme, parce que Dieu est tout-puissant pour l'affermir. De même, l'un met de la différente entre les jours; l'autre considère tous les jours comme égaux; que chacun abonde dans son sens. Celui qui distingue les jours les distingue pour plaire au Seigneur; celui qui mange de tout le fait pour plaire au Seigneur, car il rend grâces à Dieu ; et celui qui ne mange pas de tout le fait aussi pour plaire au Seigneur, et il rend aussi grâces à Dieu. Car aucun de nous ne vit pour soi-même, et aucun de nous ne meurt pour soi-même. Mais soit que nous vivions; c'est pour le Seigneur que nous vivons; soit que nous mourions, c'est pour le Seigneur que nous mourons. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes toujours au Seigneur. Car c'est pour cela même que Jésus-Christ est mort, et qu'il est ressuscité, afin d'acquérir une domination souveraine sur les morts et sur les vivants. Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère? ou vous, pourquoi méprisez-vous votre frère ? Car nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ, selon cette parole de l'Ecriture : Je jure par moi-même, dit le Seigneur, que tout genou fléchira devant moi, et que toute langue confessera que je suis Dieu. Ainsi chacun de nous rendra compte de soi-même à Dieu. Ne nous jugeons donc plus les uns les autres; jugez plutôt que vous ne devez pas donner à (98) votre frère une occasion de chute et de scandale. Je sais, et je suis persuadé, selon la doctrine du Seigneur Jésus, que rien n'est impur de soi-même, et l'est seulement à celui qui le croit impur. Si en mangeant de quelque chose, vous attristez votre frère, vous cessez de vous conduire par la charité. Ne faites pas périr, par ce que vous mangez, celui pour qui Jésus-Christ est mort. Que notre bien ne soit donc pas blasphémé. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit. Et celui qui sert Jésus-Christ en cette manière se rend agréable à Dieu et est approuvé des hommes. Recherchons donc ce qui peut entretenir la paix parmi nous, et observons tout ce qui peut nous édifier les uns les autres. Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l'ouvrage de Dieu. Ce n'est pas que toutes les viandes ne soient pures; mais un homme fait mal d'en manger lorsqu'en le faisant il scandalise les autres. Et il vaut mieux ne point manger de chair et ne point boire de vin, ni rien faire de ce qui est à votre frère une occasion de chute et de scandale, ou de ce qui peut l'affaiblir dans sa foi. Avez-vous une foi éclairée ? Contentez-vous de l'avoir dans le coeur aux yeux de Dieu. Heureux celui que sa conscience ne ci condamne point en ce qu'il veut faire. Mais celui qui dans le doute ne laisse pas de manger, est condamné parce qu'il n'agit pas selon la foi. Or, tout ce qui ne se fait point selon la foi, est péché1 ». A-t-on encore besoin d'interprétation pour comprendre dans quel but l'Apôtre a prononcé ces paroles? Quelle infamie dès lors d'emprunter à l'Ecriture des textes dont on cache l'évidence pour tromper les simples ! Selon l'Apôtre, tout est pur pour celui qui le croit; comme aussi une chose devient impure pour celui qui la croit telle. Nous devons donc nous en abstenir lorsque nous ne pouvons en user sans porter un de nos frères au scandale, parce qu'il est intimement persuadé que l'on doit s'abstenir de toute viande pour ne pas s'exposer à manger des viandes, offertes aux idoles. En manger dans de telles circonstances, ce serait s'exposer à paraître honorer les idoles, ce qui produirait un grave scandale. Et cependant manger de ces mêmes viandes offertes, sans savoir qu'elles l'ont été, n'est un crime en aucune manière. Dans un autre passage, l'Apôtre défend, quand on achète de la viande ou qu'on en mange chez un hôte infidèle, de ne faire aucune question à ce sujet; peu importe qu'elle ait été offerte, il suffit que ce soit de la viande; la raison qu'il en donne, c'est que toutes les viandes sont pures par elles-mêmes, comme toute créature de Dieu est bonne par elle-même; tout aussi peut être sanctifié par la parole et par la prière. Cependant on doit éviter cette manducation, si elle doit être pour d'autres une cause de scandale. Ailleurs encore il prédit plus clairement l'hérésie manichéenne, quand il annonce que dans les derniers temps on verra des hommes proscrire le mariage et la manducation des aliments que Dieu a créés2. Dans ces paroles il stigmatise formellement ceux qui- s'abstiennent de viande, non pas dans le désir d'enchaîner la concupiscence ou d'épargner un scandale à leurs frères, mais uniquement parce qu'ils regardent ces viandes comme impures et qu'ils refusent ,de croire qu'elles soient l'oeuvre de Dieu. Pour nous, attachons-nous à la doctrine apostolique qui proclame que tout est pur pour ceux qui sont purs3, sauf à suivre les règles de la tempérance évangélique qui nous défend de laisser nos coeurs s'appesantir dans la gourmandise, l'ivrognerie, et les sollicitudes du siècle.
