6.
David vit tomber entre ses mains un de ses ennemis déclarés, un persécuteur à la fois ingrat et cruel, Saül enfin, et sa destinée lui appartenait entièrement. Toutefois il aima mieux l'épargner que de verser son sang. Jusque-là, en effet, il n'avait pas reçu ordre de lui ôter la vie, il n'en avait pas reçu non plus la défense; bien plus, une parole du ciel lui avait déclaré que le sort de son ennemi était entre ses mains; et cependant il n'usa de cette souveraine puissance que pour faire grâce1. Que l'on me dise de qui il a eu peur en refusant de tuer Saül. Il ne craignait pas Saül, puisque ce dernier était tombé en son pouvoir; il ne craignait pas Dieu, puisque c'est Dieu lui-même qui le lui avait livré. Il pouvait le mettre à mort sans aucune difficulté, sans avoir rien à craindre; pourquoi donc l'épargne-t-il, si ce n'est par amour pour son ennemi? Ainsi voilà que David, malgré son ardeur guerrière, accomplit le précepte donné par Jésus-Christ d'aimer nos ennemis. Plût à Dieu qu'il fût imité par ces novateurs qui ont remplacé ce sentiment si naturel à l'homme, la miséricorde, par je ne sais quel délire aussi cruel qu'insensé ! Les voici qui croient que c'est le pain qui pleure, ce qui est une absurdité, et en conséquence ils en refusent un morceau à ce mendiant baigné de larmes. Comme ces aveugles qui se répandent en clameurs insensées, peut-être vont-ils prétendre que David en épargnant son ennemi est meilleur que Dieu qui lui avait donné le pouvoir de l'immoler; comme si vraiment Dieu n'avait pas su à qui il accordait ce pouvoir. Il connaissait les dispositions de son serviteur; mais voulant faire connaître aux hommes, et imiter par eux l'amour de David pour son ennemi, Dieu qui connaissait cet amour, remit en la puissance de David son plus grand ennemi, dont il voulait encore conserver la vie, parce qu'elle était utile à l'accomplissement de ses desseins. C'est ainsi que la bonté d'âme de David s'impose d'elle-même à l'admiration et à l'imitation des hommes; c'est ainsi encore que la perversité de Saül fut réservée à une fin où la justice éclata davantage, afin de faire pâlir de crainte les hommes qui marcheraient sur ses traces.
I Rois, XXIV, 3-8, XXVI, 8-12. ↩
