CHAPITRE XXIII. DE QUI L’HOMME SPIRITUEL PEUT JUGER (Gen. I, 26)
33. Or, « l’homme spirituel juge de tout, » et c’est ce que l’Ecriture appelle avoir puissance sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux domestiques et sauvages, sur toute la terre, sur tout ce qui rampe à sa surface. Et, cette puissance, il l’exerce par cette intelligence qui le rend capable de pénétrer « ce qui est de l’Esprit de Dieu ( I Cor. II, 14). » « Déchu de la gloire, par défaut d’intelligence, n’est-il pas descendu au rang des brutes, ne leur est-il pas devenu semblable ( Ps. XLVIII, 13) ? »
Et nous, mon Dieu, nous, enfants de la grâce dans votre Eglise, « nous, votre ouvrage, créés dans les bonnes œuvres ( Ephés. II, 10), » nous sommes juges spirituels, soit que nous ayons l’autorité selon l’esprit, soit que nous obéissions spirituellement. « Vous avez fait l’homme mâle et femelle; » et il en est ainsi dans la création de votre grâce, où cependant il n’y a plus ni mâle ni femelle, suivant le sexe corporel; ni Juif ni Grec, ni libre ni esclave(Galat. III, 28). Et ces hommes de l’esprit, soit qu’ils commandent, soit qu’ils obéissent, sont juges spirituels I Cor. II, 15). Mais leur jugement ne s’exerce pas sur les pensées spirituelles qui brillent au firmament. Il ne leur appartient pas de prononcer sur une autorité si sublime; de s’élever en juges de votre livre saint, lors même que des ombres y voilent la lumière. Car nous lui devons la soumission de notre intelligence, et une ferme assurance dans la rectitude et la vérité de toute lettre close à nos yeux. L’homme, « même spirituel, et renouvelé dans la connaissance de Dieu, selon l’image du Créateur (Coloss. III, 10), » doit être l’observateur et non pas le juge de la loi ( Jacq. IV, 11).
Son jugement ne va pas non plus à discerner les hommes de l’esprit des hommes de la chair, s’il ne les connaît par leurs oeuvres, comme « l’arbre se connaît par son fruit ( Math. VII, 20). » Votre regard seul les voit, mon Dieu; vous les connaissez déjà, Seigneur, et vous les aviez déjà distingués; vous les aviez appelés dans le secret de votre conseil, avant même de créer le firmament.
Quoique spirituel, il ne juge pas non plus des générations turbulentes du siècle. « Pourquoi jugerait-il ceux de dehors ( I Cor. V, 12), » puisqu’il ignore quels sont dans ce nombre les élus appelés à goûter un jour la douceur de votre grâce, et les âmes qui doivent demeurer éternellement dans l’amertume de l’impiété ?
34. Ainsi donc, en formant l’homme à votre image, vous ne lui avez donné puissance ni sur les astres du ciel, ni sur le ciel secret, ni sur ce jour, ni sur cette nuit, que vous avez nommés avant la création, ni sur cette réunion des eaux qui s’appelle la mer; il n’a reçu puissance que sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux, sur toute la terre, sur tout ce qui rampe à sa surface.
Il juge, il approuve ou condamne ce qu’il trouve bien ou mal, et dans la solennité du sacrement initiateur qui consacre à votre service ceux que votre miséricorde a pêchés au fond des eaux; et dans ce banquet sacré où le mystique poisson, tiré du fond de l’abîme, est servi pour- nourrir la terre ; et dans les discours, dans les paroles, oiseaux fidèles, qui volent sous le firmament de l’autorité des saintes Ecritures ; interprétations, expositions, discussions, controverses, bénédictions, prières, que les lèvres prononcent en formules sonores, afin que le peuple puisse répondre ainsi soit-il! L’abîme du siècle, et la cécité de cette chair qui n’a pas d’yeux pour voir les pensées, telle est la cause de l’emploi des sons et du bruit dont on frappe les oreilles. Et voilà comment ces oiseaux qui se multiplient sur la terre sont néanmoins originaires des eaux.
L’homme spirituel juge encore, approuve ou condamne ce qu’il trouve bien ou mal, dans les oeuvres, dans les moeurs des fidèles; il juge des aumônes comme des fruits de la terre; il juge de l’âme vivante qui sait, par la charité, les jeûnes, et les pieuses pensées apprivoiser ses passions; il juge de tout ce qui se produit par des effets sensibles ; il est juge enfin, là où il a le pouvoir de corriger et de reprendre.
