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Et si toutes les beautés sensibles, produites par la nature ou par l'art, ne peuvent se concevoir sans l'espace et le temps, comme le corps et ses différents mouvements; il n'en est pas de même de cette égalité et de cette unité qui ne se révèle qu'à l'esprit et qui juge de la beauté corporelle par l'intermédiaire des sens; elle n'est ni étendue avec l'espace, ni changeante avec les temps. On ne peut dire en effet qu'elle serve à apprécier la rondeur de la roue, et non la rondeur d'un vase; la rondeur d'un vase, et non celle d'un denier. Ainsi en est-il des temps et des mouvements des corps : il serait absurde de prétendre qu'elle juge de l'égalité des années, et non de l'égalité des mois, de l'égalité des mois et non de celle des jours. Mais qu'un mouvement réglé se produise pendant ces intervalles, pendant des heures ou des moments plus courts, c'est toujours une même et immuable égalité. Mais si la même loi d'égalité, de ressemblance, de convenance , nous fait juger des mouvements et des figures tantôt plus grandes, tantôt moindres: cette loi assurément l'emporte sur tout cela en puissance. D'ailleurs elle n'est dans les lieux et les temps, ni moindre, ni plus grande : si elle était plus grande, elle ne pourrait apprécier tout entière ce qui est plus petit; si elle était moindre, nous ne pourrions juger par elle de ce qui est plus grand. Aussi faut-il la loi tout entière de la quadrature pour apprécier le carré d'une place publique, le carré d'une pierre, d'un tableau, d'un bijou; et la loi tout entière de l'égalité pour saisir également la convenance et dans les pas multipliés de la fourmi et dans la marche de l’éléphant. Mais alors qui ne pourra comprendre que cette loi n'est ni plus petite ni plus grande que l'espace et le temps, puisqu'en puissance elle est au-dessus de tous les temps et de tous les lieux? Et comme cette loi qui préside à tous les arts est immuable, tandis que l'esprit humain, capable de la comprendre, est exposé aux variations de l'erreur, concluons qu'au-dessus de notre intelligence est une loi qui se nomme vérité.
