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Ni l'une ni l'autre de ces deux affirmations ne saurait être soutenue. Il en est une troisième qui n'est pas mieux fondée : elle consisterait à dire que les âmes, avant d'être unies à un corps, ont déjà péché et mérité par là de se voir condamnées à s'unir à la chair. L'Apôtre affirme hardiment qu'avant d'être unies à un corps, les âmes n'ont fait aucun bien ni aucun mal1. Il suit de là que si les enfants ont besoin d'obtenir la rémission de leurs péchés, cette rémission ne peut tomber que sur le péché originel. Une quatrième hypothèse se présente, encore. A la vue des enfants qui meurent sans baptême, peut-on dire que si leur âme a été condamnée à habiter cette chair pécheresse et à y trouver sans ressource la mort éternelle, c'est que Dieu prévoyait qu'abusant de leur libre arbitre, elles profiteraient d'un âge plus avancé pour se livrer au mal? Malgré l'extrême embarras qui l'obsède, notre adversaire n'a pas osé porter jusque-là sa témérité. Il a même protesté brièvement et ouvertement contre cette folle assertion, quand il s'est écrié : « Dieu serait injuste s'il jugeait un homme avant sa naissance sur la simple prescience de l'imperfection des oeuvres de sa volonté ». C'est ainsi qu'il s'exprimait quand il répondait à cette question : Pourquoi Dieu créait-il l'homme, puisqu'il savait à l'avance que cet homme se livrerait au mal? En effet, ce serait réellement juger un homme avant sa naissance que de refuser de le créer par la raison qu'une fois créé il se rendrait pécheur. J'approuve cette réponse, et je dis avec lui que l'homme doit être jugé uniquement sur les actions qu'il a faites, et non sur celles qu'il doit faire, quoique Dieu les connaisse parfaitement. En effet, si les péchés qu'un homme commettrait pendant sa vie ultérieure devaient peser sur son jugement quand il meurt avant d'avoir eu le temps de les commettre, quel bienfait aurait donc reçu celui « qui a été enlevé, de peur que la malice ne changeât son. intelligence2 », puisqu'il devait être jugé sur la malice qu'il aurait eue en vivant plus longtemps, et non selon l'innocence qu'il possédait au moment de sa mort? Après avoir reçu le baptême, les hommes ne sont-ils pas capables, non-seulement de pécher, mais même d'apostasier? Supposons donc un enfant qui meurt après son baptême et qui aurait apostasié s'il avait vécu; n'aura-t-il donc rien gagné à « être enlevé dans la crainte que la malice ne changeât son intelligence? » En vertu de la prescience infinie de Dieu, sera-t-il jugé, non pas comme un membre fidèle de Jésus-Christ, mais comme un apostat? Si des péchés qui n'existent encore, ni dans la réalité, ni même dans la pensée de l'homme, mais seulement dans la prescience divine, sont néanmoins punis, n'eût-il pas été préférable que nos deux ancêtres fussent chassés du paradis avant leur péché, plutôt que de pécher dans un lieu aussi saint et aussi fortuné? Et que deviendra donc la prescience, si son objet ne se réalise pas? Ce qui ne doit pas arriver peut-il être connu comme devant arriver? Comment donc punir des péchés qui n'existent pas, c'est-à-dire qui n'ont été commis ni avant l'union de l'âme avec le corps, ni depuis cette union, que la mort est venue rompre prématurément?
